Article 4 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


Note

Cette série d’articles de Denis Vennema, généticien, et collaborateur de la Fondation BioLogos (article original ici), est destinée à introduire les concepts de base de l’évolution aux non spécialistes. Dans cet article, nous explorons les principales idées de Darwin : la variation au sein d’une espèce est héréditaire, les variants ne se reproduisent pas avec la même fréquence, et c’est ce qui engendre des changements au sein des populations naturelles

L’évolution pour les nuls (3): une introduction à la variation, à la sélection naturelle et artificielle

Dans le dernier article de cette série, nous avons décrit comment les études de Darwin concernant la répartition géographique des espèces avaient joué un rôle important dans sa découverte du fait que les espèces ne sont pas fixes, mais qu’elles peuvent se transformer en d’autres espèces au cours du temps. Pourtant, Darwin n’avait aucun mécanisme à proposer permettant d’expliquer comment ces changements graduels pouvaient se produire. Puisque ses observations (a) montraient des variations, ou des différences, entre des espèces proches parentes, et (b) que cela suggérait que ces variations étaient apparues par des petites modifications graduelles de deux populations séparées, Darwin a justement pressenti que la compréhension de ces variations pourraient aider à expliquer la formation de nouvelles espèces. C’est ainsi que Darwin s’est intéressé de très près aux variations héréditaires chez les espèces domestiquées. Ses études l’ont conduit à apprécier l’importance de la sélection dans la formation de nouvelles races domestiques, et il a compris plus tard que la nature pouvait agir en tant que force sélective.

Ces deux concepts, des variations héréditaires et la sélection naturelle, sont encore aujourd’hui les idées au coeur de la biologie moderne de l’évolution. Etant donnée l’importance de ces concepts, nous allons les examiner de plus près avant de décrire comment Darwin est en venu à envisager leur rôle dans la formation de nouvelles espèces.

 

L’évolution en deux concepts simples: des variations héréditaires et la reproduction différentielle.

 

Dans n’importe quelle population d’organismes, domestiquée ou non, il existe des différences héréditaires. Aujourd’hui, nous savons que ces différences héréditaires proviennent de différences dans l’information génétique (i.e. des variation dans des séquences de l’ADN), mais ceci n’était pas connu à l’époque de Darwin.  Sans connaître la biologie moléculaire, Darwin a réussi a apprécier le fait que les descendants ont en moyenne davantage tendance à ressembler à leurs parents qu’au reste de la population. De cette observation, il a déduit à juste titre que les variations étaient héréditaires: elles se transmettent des parents à leur descendance.

Comme nous le verrons plus bas, Darwin pouvait aussi remarquer que si la variation était soumise à la sélection, ces traits caractéristiques moyens pouvaient dériver avec le temps. La sélection est simplement l’observation que les différents variants d’une même population ne se reproduisent pas tous au même taux. Dans le cas de la sélection artificielle, un agent humain décide des variants qui vont se reproduire à un taux plus élevé que les autres en permettant un croisement sélectif. Si la sélection est poursuivie génération après génération, certains variants seront plus nombreux en proportion dans une population, et d’autres moins fréquents.

C’est en résumé le principe central de la théorie de l’évolution: les changements dans des variations héréditaires peuvent au cours du temps changer les caractéristiques d’une population, et ce succès reproductif différentiel (sélection) est un moteur essentiel permettant les changements d’une génération à une autre. Bien que notre compréhension de l’évolution ait beaucoup progressé depuis l’époque de Darwin, ces principes de base demeurent les fondements de la biologie de l’évolution. En dépit de leur simplicité, Darwin mit plusieurs années de travail avant de les assembler en un cadre cohérent.

 

 Les études de Darwin sur les variation 1837 – 1838

 

Comme Darwin le relate dans son Autobiographie, après son retour en Angleterre de son voyage sur le Beagle, il a entrepris des études systématiques pour accumuler des informations sur les variations au sein des “races” de plantes et d’animaux domestiqués, ainsi que des variations dans les populations naturelles. (Soit dit en passant, dans les années 1800, le mot “race” était admis en temps que terme scientifique pour ce que nous appellerions aujourd’hui “croisement” ou “sous espèce”. Le mot “race” a pris plus tard la connotation qu’il a aujourd’hui – une expression réservée aux humains- mais ce n’était pas le cas à l’époque de Darwin, comme nous le montreront en citant des articles de cette époque. Les tentatives pour présenter les travaux de Darwin comme racistes sont infondés, mais elles persistent chez ceux qui ne connaissent pas les tournures anglaises de l’époque victorienne, étant donné que le titre complet de son livre est De l’origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle, et la préservation des races favorisées dans le combat pour la vie.) Etant donné que Darwin a beaucoup conversé avec ceux qui croisaient les plantes et les animaux (par exemple, il a passé beaucoup de temps avec les éleveurs de pigeons et il s’est documenté sur la façon dont ils créaient de nombreuses sous espèces exotiques), il a été impressionné par la puissance de la sélection artificielle à produire des changements au sein d’une sous-espèce au cours du temps. Impressionné par cette force, il lui restait encore à comprendre comment la nature pouvait agir en tant que puissance sélective:

 

A mon retour en Angleterre, il m’est apparu qu’en suivant l’exemple de Lyell en géologie, et en collectant tous les faits qui se rapportaient de près ou de loin à la variation des animaux et des plantes domestiqués ou pas, certaines lumières pourraient peut-être être projetées sur le sujet dans son ensemble. J’ai ouvert mon premier carnet de notes en juillet 1837. J’ai travaillé sur la base de principes baconiens, et sans aucun cadre théorique, j’ai rassemblé les faits à grande échelle, plus spécialement ceux qui concernent les productions domestiquées, sous la forme de documents imprimés, de conversations avec des éleveurs et des jardiniers. Quand je vois la liste de tous les livres de toutes sortes que j’ai lus et médités, y compris des séries entières de journaux et de contrats, j’en suis moi-même étonné. J’ai rapidement compris que la sélection était la clé du succès humain à fabriquer des races d’animaux et de plantes. Mais la façon dont la sélection pouvait être appliquée à des organismes vivants dans la nature demeura un mystère pour moi pendant un moment.(Autobiography, pp. 119 -120)

Plus tard, cette idée centrale l’a frappé: la nature pourrait bien appliquer la sélection naturelle à peu près de la même façon que les éleveurs lorsqu’ils sélectionnent les individus qui vont se reproduire, l’habileté de différents variants à se reproduire dans un environnement naturel donné ferait que certains se reproduisent plus que d’autres. Comme leurs caractéristiques sont héréditaires, ceci entrainerait un changement au cours du temps dans une population expérimentant la “sélection naturelle”, un terme que Darwin a introduit par analogie à la sélection artificielle.

Darwin a réalisé que, dans la nature, les organismes engendrent plus de descendants que ceux capables de survivre, et ceci fut la dernière pièce du puzzle (une idée de Thomas Malthus). Il y avait donc compétition entre les membres d’une même espèce pour des ressources limitées. La compétition pouvait aussi avoir lieu entre les membres de différentes espèces. Ces sources de compétition créaient une “bataille pour l’existence” qui favorisait certains variants et leur reproduction:

En octobre 1838, c’est à dire quinze mois après avoir entamé mon enquête systématique, je me suis mis par distraction à lire Malthus à propos de la population , et comme j’étais bien préparé à apprécier le combat pour la vie qui est omniprésent dans les observations sur les habitudes des animaux et des plantes, j’ai tout à coup était frappé par le fait que dans de telles circonstances, les variations favorisées auraient tendance à survivre, alors que les autres seraient détruites. (Autobiography p. 120)

Plus tard, dans l’origine des espèces, il explicitera cette idée en grand détail. Dans le premier chapitre, Darwin donne de nombreux exemples de variations héréditaires chez les animaux domestiques.  Il se tourne ensuite vers les variations héréditaires dans les populations naturelles dans le deuxième chapitre, citant encore de nombreux exemples, et comparant ses découvertes avec les variations dans les espèces domestiques. Dans le troisième chapitre, il décrit le “combat pour l’existence” dans la nature, puis associe ces trois idées ensemble: si les éleveurs humains sont capables d’utiliser la sélection pour “accumuler” les variations au cours du temps, alors, la sélection naturelle pourrait aussi le faire:

Dans ce combat pour la vie, n’importe quelle variation, aussi petite soit-elle et quelque soit sa cause, si celle ci est profitable à n’importe quel degré à un individu de n’importe quelle espèce, dans ses relations infiniment complexes avec les autres organismes et avec la nature, contribuera à la préservation de cet individu, et sera généralement héritée par ses descendants. Ce descendant aura à son tour une meilleure chance de survivre, parce que dans une population donnée, seul un petit nombre de nouveaux nés peuvent survivre. J’ai appelé ce principe, par lequel chaque petite variation, si elle est utile, est préservée, par l’expression Sélection Naturelle, pour souligner sa relation avec la puissance de la sélection exercée par l’homme. Nous avons vu que l’homme, par la sélection, peut produire de grands résultats, et peut adapter des organismes à son utilisation propre, par l’accumulation de petites variations, que la main de la Nature lui a donnée. Mais comme nous le verrons après, la Sélection Naturelle est une force incessante prête à l’action, et est infiniment supérieure aux faibles efforts humains, car le travail de la nature est celui d’un art.(Origin, p. 61)

 

La sélection artificielle, ici et maintenant

 

Ayant trouvé sa “théorie lui permettant de travailler », Darwin a passé des dizaines d’années à accumuler les preuves de ses idées avant de publier l’Origines des espèces en 1859. Rassembler les preuves montrant la sélection naturelle et artificielle a été le but majeur de tous ses efforts. Dans le prochain article de cette série, nous parlerons de certaines des observations de Darwin concernant la sélection artificielle et la domestication des chiens, et nous examinerons certains résultats fournis par la génomique récente qui montre dans les détails moléculaires comment la sélection artificielle a façonnée le génome du chien au cours du temps.


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