Article 3 sur un total de 3 pour la série :

Science & Foi Au bonheur de l’esperluette


Introduction (Science & Foi) :

Michel SalamolardL’équipe Science & Foi remercie chaleureusement Michel Salamolard pour cette série de trois articles concernant les rapports Science/Foi chrétienne. « M.S. est prêtre catholique du diocèse de Sion (Suisse), diplômé de l’Institut catholique de Paris. Il a exercé des ministères variés : en paroisse, auprès d’enfants et de jeunes en difficulté et auprès d’adultes (formations aux services de l’Eglise). Le fil rouge de ses engagements est l’annonce et l’approfondissement de la foi au contact de l’expérience humaine. » (extrait de sa présentation tirée de son livre en finir avec le « péché originel? » chez Fidélité).

Les lecteurs de ce blog ont déjà pu profiter des réflexions de M.S. lors de cette discussion animée par Benoit à propos de cet ouvrage. Nous précisons qu’en tant qu’invité sur ce blog, les propos et commentaires de M.S. n’engage pas Science et Foi. Nous avons précisé « ce que nous croyons » dans cette rubrique.


Science & Foi
Au bonheur de l’esperluette

III.  Vérifications

Dans ce troisième volet de mon article, j’aborde l’intéressante question de l’appui mutuel que pourraient se donner la science et la sagesse. La science peut-elle étayer les convictions de la foi, religieuse ou non ? La foi peut-elle, de son côté, confirmer ou alimenter les vérités scientifiques ? Je me vois obligé, en vertu des principes énoncés dans mes deux premiers volets, de répondre non aux deux questions ci-dessus. Chacun des deux modes de connaissances doit vérifier ses propositions avec ses propres critères et moyens. Voyons cela de plus près.

La notion chrétienne de création

Pour commencer, il est indispensable de s’entendre sur ce que signifie l’idée de création dans la Bible et, par conséquent, dans la tradition chrétienne. Elle implique deux affirmations : (1) Une distinction absolue entre Dieu et l’univers naturel, avec tout ce qu’il contient ; (2) Une relation particulière entre les deux. Précisons ces deux facettes de la notion de création.

Dieu est le Tout-Autre

Il existe avant que naissent « la terre et le monde », il est « depuis toujours et pour toujours » (Psaume 90, 2). « Il nous a élus en lui avant la fondation du monde » (Éphésiens 1, 4 et Jean 17, 24). C’est aussi cela que fait comprendre le premier chapitre de la Genèse. Tout l’univers existe parce que Dieu l’a voulu. Deux autres idées sont manifestes dans ce chapitre. Il s’agit, primo, de l’autonomie du monde. Plantes et animaux se reproduisent « selon leur espèce », autrement dit sans intervention divine. Il en sera de même pour l’homme et la femme. Dès le septième jour (qui dure encore !), secundo, Dieu chôme. Toute intervention divine dans la nature est donc exclue. D’éventuels « miracles » ne sauraient être que des exceptions confirmant la règle.

En revanche, le Dieu biblique instaure, dès Genèse 2-3, un dialogue avec les hommes, qui se poursuivra durant toute l’histoire, notamment à travers les prophètes. Dialogue mystérieux par lequel « l’Esprit se joint à notre esprit » (Romains 8, 16), dans le secret des consciences. Les traces de ce dialogue échappent à toute investigation scientifique, évidemment.

Enfin, ô divine surprise, Dieu quitte sa transcendance en son Fils bien-aimé, qui devient l’un d’entre nous ! Le Créateur devient créature ! Et cela pour toujours. Le Fils divin descend au fin fond de notre condition humaine, jusque dans l’obscurité de la mort. Et quelle mort ! Il ressaisit ainsi en lui toute notre finitude – et celle du cosmos puisqu’étant incarné il est lié aussi à la matière – et même ce que nous appelons notre péché. Par sa résurrection, il fait monter tout cela dans la gloire divine. Magnifique perspective de notre révélation ! Mais tout cela ne peut être accueilli que par la foi, sans aucune attestation scientifique possible. Autrement, la distinction absolue entre Dieu et l’univers serait abolie et nos savants, escaladeurs de quelque tour de Babel moderne, se donneraient la prétention ridicule de scruter non seulement le ciel cosmique, mais Dieu lui-même…

La relation entre Dieu et l’univers est surnaturelle

Elle consiste en une totale dépendance métaphysique de tout le créé à l’égard du créateur. Mais cette dépendance, loin d’être un défaut, est au contraire l’origine et la cause du créé en sa consistance et en son autonomie voulue par Dieu. Nous affirmons aussi que la puissance divine qui est à l’œuvre ici – en permanence et non seulement dans quelque introuvable début de l’univers – est celle de l’amour, et non celle d’une domination, encore moins d’un asservissement. C’est cet amour qui se révèlera pleinement en Jésus, « jusqu’à l’extrême » (Jean 13, 1).

Encore une fois, du point de vue de cette relation, toute interférence entre Dieu et le cosmos reviendrait à nier la notion de création. Dieu serait conçu comme une force éminente et mystérieuse agissant au même niveau que les forces naturelles. Parmi ces dernières – forces nucléaires forte et faible, force électromagnétique et force de la gravitation – il y en aurait une autre, que la physique devrait bien découvrir un jour, la force divine ! Mieux vaut quitter ces chimères.

La notion biblique et chrétienne de création exclut toute interférence entre Dieu et l’univers, donc tout « croisement » entre démarche scientifique et démarche de foi. Entre Dieu et l’univers, il n’y a pas plus de relation physique qu’entre Van Gogh et un de ses tableaux, pas plus encore qu’entre un ingénieur et la voiture sortie de son usine. Ces analogies nous aident à comprendre un peu la relation du Créateur avec sa création.

Les tentations de la science

Du côté de la science, on pourrait être tenté de franchir la limite, aujourd’hui d’une autre façon que jadis. Un scientifique se ridiculiserait, par exemple, si, pour fonder une de ses hypothèses, il citait l’autorité d’un verset biblique ! Une tentation un peu plus subtile pourrait guetter notre savant quand il se trouve devant un « trou noir » de sa science, devant quelque chose d’inexplicable, par exemple le problème de la compatibilité entre la relativité générale et la mécanique quantique. Serait-ce là le « secret de Dieu » ? Imaginer cela reviendrait à renoncer à la recherche scientifique. Ce qu’elle ne connaît pas encore de l’univers, elle le connaîtra un jour, avec de nouvelles questions appelant de nouvelles recherches. Un Dieu bouche-trou de nos ignorances ? Non merci.

Enfin, une troisième tentation pourrait être aujourd’hui d’actualité. Tout grand savant est confronté tôt ou tard, peu ou prou, aux limites absolues de sa science. Plus il connaît l’univers, plus aussi il est amené à se poser des questions de sens. L’univers a-t-il un sens ? Notre vie a-t-elle un sens ? Un sens, c’est-à-dire une signification spirituelle, mais aussi une orientation, autrement dit une origine et un but ?

La tentation n’est pas de se poser ces questions ni de tenter d’y répondre. Elle consiste à les aborder de façon scientifique. C’est s’interdire d’y comprendre quelque chose. Devant ces questions, le savant, qu’il le veuille ou non, doit devenir philosophe – ami de la SAGESSE –, métaphysicien, poète, ouvert aux questions spirituelles et même religieuses.

Un bon exemple est offert par le problème du « dessein intelligent ». Tout scientifique peut constater et affirmer ceci : « Puisque nous pouvons comprendre l’univers, notamment par les mathématiques, puisque nous mesurons de mieux en mieux les réglages fins qui président à l’organisation du cosmos, bref puisque nous pouvons penser l’univers, ne sommes-nous pas poussés à nous demander si l’univers a été pensé ? Par quelqu’un ? » Bonne question, mais sans réponse scientifique possible. En revanche, elle peut susciter une quête de sagesse, à mener non dans le « laboratoire », mais dans « l’oratoire », pour reprendre cette image.

Les tentations de la sagesse et de la foi

Du côté de la sagesse, notamment celle de la foi chrétienne, les tentations peuvent être vives de chercher des attestations, sinon des preuves, du côté de la science. Les progrès de la science, ses fantastiques découvertes, ses victoires, son élan pas près de s’arrêter, tout cela a de quoi impressionner. D’autant plus que les propositions scientifiques possèdent un haut coefficient de certitude, prouvé par d’incessantes vérifications. Qu’on songe aux ondes gravitationnelles, prédites par Einstein et détectées tout récemment. Les conclusions de la science, du moins les principales, ont un caractère aussi contraignant que l’équation deux et deux font quatre. De ce côté-là, on semble avancer en terrain sûr, solide et dégagé.

Rien de tel du côté de la sagesse, y compris celle de la foi ! Dieu, le sens de la vie et de l’histoire, les mystères chrétiens – Incarnation, Rédemption, Résurrection, Don de l’Esprit, Vie éternelle – sont hors d’atteinte de toute preuve scientifique. On peut y voir une faiblesse, la « faiblesse du croire », pour paraphraser le titre d’un beau livre de Michel de Certeau. On peut y voir aussi une force immense, celle de l’amour, qui ne peut manifester sa pleine mesure que dans la confiance, dans la liberté de se donner ou de se refuser, d’entrer en alliance, d’accueillir l’Esprit se joignant à notre esprit.

Loucher du côté de la science pour y trouver des attestations « solides et tangibles » de notre foi est non seulement inefficace, mais nous éloigne et nous prive de la découverte des vraies attestations de nos convictions religieuses. Elles sont fortes et évidentes en leur genre. Chacune et chacun peut en faire l’expérience, dans sa vie et dans la vie du monde.

Elles sont de deux ordres. Les unes se trouvent dans l’expérience intime que nous faisons de nous-mêmes. Nous pouvons les appeler : paix du cœur, joie de vivre, confiance en Dieu, ouverture aux autres, liberté profonde, acceptation de soi-même, reconnaissance… Les autres se trouvent dans nos comportements de service, de générosité, de miséricorde, de courage, d’engagement pour la paix ou la justice…

Les traces lumineuses de l’Esprit sont nombreuses autour de nous. Souvent humbles et discrètes, elles sont aussi éclatantes dans le meilleur de l’histoire sainte de nos Églises et de nos saints et saintes. Il ne tient qu’à nous, et à nos communautés, de les multiplier et de les intensifier, avec la grâce de Dieu. François d’Assise, Mère Teresa, Martin Luther King, Roger Schütz et des milliers d’autres : leur vie et leur rayonnement sont aussi irrécusables que… les rayons cosmiques. De plus, immense avantage, ils peuvent nous inspirer, nous pouvons les imiter à notre façon, alors que les rayons cosmiques…

Tous au bonheur de l’esperluette

En conclusion, il me semble bon de redire que le meilleur terrain de rencontre entre savants et sages de toute appartenance, pourvu qu’ils soient de bonne volonté, est la recherche incessante d’une éthique du bonheur pour tous (voir article précédent). C’est dans ce domaine que les uns et les autres goûteront le « bonheur de l’esperluette » : la plus belle conjonction entre la sagesse et la science.

Merci d’avance aux lecteurs qui complèteront ou corrigeront mes propos, lesquels n’ont d’autre ambition que de nourrir la réflexion. Surtout pas de la clore.

Michel Salamolard


3 Articles pour la série :

Science & Foi Au bonheur de l’esperluette