Article 2 sur un total de 3 pour la série :

Science & Foi Au bonheur de l’esperluette


Introduction (Science & Foi) :

Michel SalamolardL’équipe Science & Foi remercie chaleureusement Michel Salamolard pour cette série de trois articles concernant les rapports Science/Foi chrétienne. « M.S. est prêtre catholique du diocèse de Sion (Suisse), diplômé de l’Institut catholique de Paris. Il a exercé des ministères variés : en paroisse, auprès d’enfants et de jeunes en difficulté et auprès d’adultes (formations aux services de l’Eglise). Le fil rouge de ses engagements est l’annonce et l’approfondissement de la foi au contact de l’expérience humaine. » (extrait de sa présentation tirée de son livre en finir avec le « péché originel? » chez Fidélité).

Les lecteurs de ce blog ont déjà pu profiter des réflexions de M.S. lors de cette discussion animée par Benoit à propos de cet ouvrage. Nous précisons qu’en tant qu’invité sur ce blog, les propos et commentaires de M.S. n’engage pas Science et Foi. Nous avons précisé « ce que nous croyons » dans cette rubrique.


Science & Foi Au bonheur de l’esperluette

II.  Applications

Après avoir posé certains principes dans l’article précédent, essayons d’en tirer des applications plus précises.

Ni mélange ni conflit entre science et sagesse

Les deux domaines explorés par nos deux modes de connaissance n’ont pas le même objet : le CELA du monde objectif, d’un côté, le JE-TU-NOUS du monde subjectif de l’autre. De plus, chacun de ces domaines est infini, il ne laisse donc aucune place à l’autre. Les domaines respectifs de la science et de la sagesse ne ressemblent pas à deux pays contigus. Il s’agit plutôt de deux mondes, situés à des niveaux différents.

La science ne peut et ne veut rien dire du monde subjectif. Ce n’est donc pas à la science que le sage, ou le croyant, demandera ni des preuves ni même des attestations de ses convictions. Prenons quelques exemples. En peu d’années récentes, des événements scientifiques majeurs se sont succédé : découverte d’exoplanètes, identification du boson de Higgs, détection des ondes gravitationnelles. Nous avons sans doute appris ces nouvelles avec intérêt et admiration. Il y a fort à parier qu’elles n’ont posé aucune difficulté à nos croyances philosophiques ou religieuses, qu’elles n’effleurent en rien. C’est de la science. Nous pouvons continuer de prier le Psaume 8, en pensant non seulement aux étoiles, mais aux exoplanètes, au boson de Higgs et aux ondes gravitationnelles.

Fondamentalement, il ne peut donc y avoir aucun conflit entre les propositions de la science et celles de la sagesse. Et pourtant, l’histoire nous enseigne que des conflits parfois importants se sont tout de même produits, le plus exemplaire étant l’affaire Galilée. Or, si on analyse ces conflits, on voit qu’ils surgissent soit d’une fausse attitude scientifique, soit d’une fausse posture religieuse. C’est par exemple une fausse science qui prétend dire quelque chose de la sagesse ou de la foi : le chirurgien affirmant qu’il n’a pas trouvé l’âme sous son scalpel, le cosmonaute qui n’a pas vu Dieu dans le cosmos, et autres balivernes. Mais c’est aussi, de la part de croyants, des convictions sans fondement, assénées comme des vérités scientifiques. S’agissant de chrétiens, c’est presque toujours une mauvaise lecture de la Bible qui est en cause : création en six jours, Josué arrêtant le soleil…

Articuler science et sagesse en sa propre personne

Le savant et le sage, ou le croyant, ne sont pas deux individus séparés. C’est dans l’unité de sa personne que chacun doit et peut articuler ce qu’il sait et ce qu’il croit. Pour ce faire, la condition de base est de ne pas mélanger les deux domaines, mais de les approfondir chacun autant qu’il est possible. Devenons aussi savants que nous le pouvons, sans complexe ni crainte pour nos convictions. Devenons en même temps aussi bons connaisseurs de nos références de sagesse et de foi. Pour un chrétien, cela signifie apprendre à lire la Bible. Nous en reparlerons.

Si une de mes convictions spirituelles me semblait mise en cause par une certitude scientifique, le premier bon réflexe consisterait : (1) à vérifier ma compréhension de la vérité scientifique, ainsi que sa validité ; (2) à vérifier aussi ma conviction chrétienne, son fondement, notamment biblique. En parler avec d’autres, comme sur ce site, augmente les chances d’y voir clair.

Une autre exigence en vue d’une bonne articulation, en soi, de la science et de la sagesse est de cultiver une totale ouverture d’esprit, aussi bien dans le domaine des sciences que dans celui de la sagesse et de la foi. Les deux domaines étant infinis, chacun à son niveau, il est évident que nos certitudes, aussi bien scientifiques que chrétiennes, sont toujours approximatives, provisoires, tendues vers de nouvelles découvertes.

Nous pouvons être habités de fausses certitudes, non reconnues comme telles. En science, on peut penser à la « génération spontanée » avant Pasteur ou à « l’horreur naturelle du vide » avant Pascal. En christianisme, c’est le créationnisme naïf ou le géocentrisme ou encore un monogénisme dogmatique fondé sur une théorie discutable du « péché originel » et de sa prétendue transmission.

Il est normal qu’un savant soit méthodologiquement « athée » quand il étudie son objet propre, qui n’est pas Dieu, mais quelque chose du monde. Si jamais il considérait le boson de Higgs, par exemple, comme étant réellement une « particule de Dieu », ce serait sottise. Mais ce serait aussi sottise de sa part que de nier, au nom de sa science, l’existence de Dieu ou de l’au-delà.

Quant au croyant, surtout s’il est chrétien, il se gardera d’oublier que Dieu est l’Au-delà de tout. Nos convictions religieuses sont toujours à approfondir, à réviser, à vérifier, à développer. Faute de quoi, elles pourraient devenir de redoutables obstacles nous empêchant d’en savoir ou d’en croire plus et mieux. C’est au nom de « certitudes » religieuses que Jésus a été condamné et mis à mort. Comme saint Paul, restons en marche, tendus vers celui qui est le terme de notre foi :

Je m’élance pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par Jésus Christ. Oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m’élance vers le but. (Philippiens 3, 12-14.)

Se rencontrer dans le laboratoire ou dans l’oratoire

Que dire du dialogue avec d’autres personnes ? Il semble utile, pour mener une discussion fructueuse, de définir clairement le « lieu » de la rencontre et de la discussion. Ce sera ou bien « le laboratoire » ou bien « l’oratoire ». À chaque lieu ses objectifs, ses méthodes, ses sujets et ses règles. Au laboratoire, on parle science. On lit les revues Science ou Nature. On jette un coup d’œil dans Science & Vie. On consulte la bibliothèque spécialisée, on s’instruit auprès des plus savants que soi.

Dans l’oratoire, on lit la Bible, mais aussi Platon, des textes bouddhistes et autres. On discute de leur sens, de leur interprétation. On fait comprendre nos convictions philosophiques et spirituelles, on écoute celles d’autrui.

Le point de rencontre de l’éthique

L’oratoire est surtout le lieu privilégié, indispensable d’une recherche éthique, menée ensemble. À partir de références religieuses et philosophiques diverses, nous pouvons et devons nous entendre sur des valeurs et des convictions communes et universelles. Ce sont elles qui nous permettront de promouvoir le bien commun, l’intérêt général, la justice pour tous, la paix universelle, la bonne gestion de notre environnement et de nos ressources naturelles.

Nous disposons déjà d’un bon capital éthique, auquel nous pouvons nous référer, quelles que soient nos horizons spirituels : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention sur les droits de l’enfant, l’impératif catégorique de Kant, le principe de réciprocité (la « règle d’or » de Matthieu 7, 12). Mais ce capital réclame d’être toujours mieux compris, partagé, appliqué et vécu en fonction des situations historiques en évolution, en fonction aussi des différents secteurs de l’activité humaine : l’économie, la finance, la politique, le droit, l’écologie, la santé, la formation. Rien n’est jamais acquis, tout doit être confirmé ou révisé en permanence.

Le dialogue est indispensable, mais il n’est pas le seul ni le plus efficace des moyens. Il y a aussi et principalement l’engagement au service d’autrui. Les chrétiens ont été et sont souvent remarquables en cela. Certaines initiatives sont au départ peu de choses, mais elles peuvent ensemencer le monde et porter des fruits surprenants. Pensons par exemple au développement du Mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge, à partir de l’initiative d’Henry Dunant ; au lien invisible entre le docteur Schweizer œuvrant à Lambaréné et Médecins sans frontières aujourd’hui ; au projet personnel de Roger Schütz dans un village de Bourgogne, en 1940, et le rayonnement actuel de Taizé dans le monde entier. Ce sont de véritables « effets papillon » enrichissant l’humanité.

Apprendre à lire et à vivre la Bible

Pour nous chrétiens, une difficulté peut naître de la confrontation entre le « livre de la nature », déchiffré par la science, et le « livre de la révélation », la Bible, que nous nous efforçons de déchiffrer.

La Création

Prendre à la lettre le langage symbolique et mythique, très présent dans la Bible, c’est se condamner d’avance à n’y rien comprendre. L’hymne grandiose au Créateur et à la création, en Genèse 1, nous en dit beaucoup sur Dieu et sur nous-mêmes, mais rien de rien sur le comment, la nature ou la durée de temps primordiaux.

L’auteur biblique inscrit son récit dans le cadre de la semaine telle qu’il la vit : six jours de travail et un jour de repos. Il aurait pu choisir un autre cadre, par exemple celui d’un psaume alphabétique. Son poème aurait alors comporté vingt-deux strophes et autant de « phases » de création. Rien à voir avec nos ères géologiques ni avec n’importe quelle périodisation scientifique de l’histoire du cosmos ou de l’histoire de la vie sur notre planète.

Dans ce cadre narratif, l’auteur nous propose plusieurs grands enseignements de sagesse. (1) L’origine de tout ce qui existe, c’est un Dieu dont la parole est toute-puissante. (2) Cette création est bonne. (3) L’être humain, homme et femme, occupe une place spéciale, éminente dans la création, en tant qu’image de Dieu. (4) Dès que l’homme apparaît, Dieu disparaît, il « chôme », il n’intervient pas dans le monde ou dans l’histoire comme une force parmi d’autres.

Quand Jésus affirme que Dieu nourrit les moineaux et habille les lis des champs, il s’exprime évidemment aussi de manière symbolique. Ce n’est pas un langage de botaniste.

Il peut être tentant de faire du concordisme, en utilisant une vérité scientifique pour étayer une vérité de foi. Le pape Pie XII faillit succomber à cette tentation lorsque l’inventeur du « modèle standard », dit du Big Bang, le prêtre belge Georges Lemaître lui expliqua sa découverte. Spontanément, le pape crut voir dans cette théorie quasiment une preuve que « la Bible avait raison », que le monde avait bel et bien commencé un jour, que Dieu était le génial lanceur des « trois premières minutes de l’univers », situées il y a quelque 14 milliards d’années. Fort heureusement, Lemaître lui fit comprendre qu’une telle liaison entre science et foi ne pouvait mener que dans une impasse.

L’Histoire sainte

Tous les livres « historiques » de la Bible sont des récits théologiques. Ils tricotent à leur façon, pas toujours la même, des éléments factuels avec leur interprétation, leur sens. Lorsque les travaux récents d’historiens spécialisés, un Thomas Römer par exemple, décortiquent ces récits, font apparaître le maillage de leur construction littéraire, les confrontent aux données extrabibliques, aux éléments archéologiques et épigraphiques, ils parviennent à émettre de bonnes hypothèses sur les faits historiques sous-jacents à l’épopée de Moïse et de l’Exode.

Ces faits paraissent ténus au regard de la mise en scène théologique dont ils font l’objet dans la Bible. Quelle importance ? Ce qui nous intéresse n’est pas de « savoir exactement » ce qui s’est passé, mais d’entrer nous-mêmes dans l’expérience de l’Exode, dans l’alliance avec un Dieu qui libère, une alliance dont le sens ne cessera d’être approfondi par les prophètes, notamment après l’Exil à Babylone.

De même, quel intérêt pour nous de « savoir exactement ce qui s’est passé » en Galilée lors du miracle des pains ? L’important n’est-il pas de découvrir comment le Ressuscité nous donne aujourd’hui le pain de la vie éternelle ?

La vérité historique de la Bible nous apparaît dans sa belle lumière lorsque la Bible devient pour nous cette Parole à vivre, qui ouvre et oriente notre propre histoire personnelle et communautaire.

Dans le troisième et dernier volet de notre réflexion, nous tenterons de répondre encore à une question fort pertinente. Par quels moyens pouvons-nous vérifier la validité et la valeur de nos convictions religieuses ?

Michel Salamolard

 

 

 

 


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