Introduction (Science & Foi)

Nous avons publié les réflexions de Denis Lamoureux à propos de la pensée de Phillip Johnson, nous abordons la pensée de Michael Behe popularisée par la publication de La boîte noire de Darwin aux Presses de la Renaissance dans la collection « en quête de sens » dirigée par Jean Staune, fondateur de l' »Université Interdisciplinaire de Paris ».

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Bien que les thèses de l’Intelligent Design soient finalement assez peu connues dans le milieu évangélique français, elles ont tout de même un certain impact. Elles ont aussi été popularisée par un DVD paru aux éditions CLE, intitulé Déchiffrer les mystères de la vie

Le « Parti Républicain Chrétien » ou PRC a récemment pris position pour qu’au sein du système éducatif français, les théories de l’Intelligent Design soient enseignées dans le cadre de l’éducation nationale au même titre que la théorie de l’évolution.

Une alternative à la théorie de l’évolution

…C’est ainsi que naissait l’approche d’une conception intelligente de la vie, déjà envisagée par de nombreux philosophes avant Darwin, tels que Platon, Newton et Kepler, mais désormais appuyée sur de solides preuves scientifiques. L’alternative à la théorie de l’évolution voyait donc le jour.

Cette nouvelle approche montrait aux scientifiques la nécessité de ne négliger aucune piste sur l’origine de la vie. D’ailleurs, Darwin lui-même avait envisagé une faille à son raisonnement. En effet, il adopta une attitude visionnaire en envisageant que sa théorie s’effondrerait si l’on pouvait démontrer l’existence d’un organisme complexe qui ne soit pas l’aboutissement d’une succession de nombreuses et infimes modifications.

Cette simple hypothèse, aujourd’hui vérifiée par le fonctionnement du flagelle bactérien, aurait du amener la communauté scientifique à davantage d’humilité et d’écoute vis-à-vis des partisans de la conception intelligente de la vie. Cette ouverture d’esprit aurait eu le mérite de ne pas retarder autant son avènement.

Il n’est pas ici question de démontrer la supériorité d’une théorie sur une autre, mais de proposer que les deux soient explorées à égalité, et sans préjugés, par les scientifiques.

 
Emmanuelle GIOVANNONI
Resp. du pôle «Chrétiens en Action» »

La confusion est grande, parce que le mouvement de l’Intelligent Design est un mouvement extrêmement disparate dont les membres pensent des choses contradictoires. Par exemple, Michael Behe dont Denis Lamoureux parle dans cet article n’est absolument pas opposé à la macroévolution (l’idée que toutes les formes de vie sont issues d’un ancêtre commun, l’homme y compris), alors que Phillip Johnson s’oppose à cette idée! Je ne suis pas si sûr que les chrétiens qui font la promotion des idées de Behe continueraient de le faire s’ils en étaient véritablement conscients.

Une Boîte Noire ou un Trou Noir ?

Une réponse à Michael Behe

Denis Lamoureux, Université d’Alberta

Denis O. Lamoureux est professeur assistant de science et de religion, au Collège St Joseph, à l’Université d’Alberta. Sa nomination à ce poste est le premier cas de titularisation dans cette discipline au Canada. Il détient trois thèses d’état (dentisterie, théologie et biologie). Lamoureux soutient que, si les limites du christianisme évangélique et de la biologie évolutive sont respectées, alors les relations qu’elles entretiennent sont non seulement complémentaires mais aussi nécessaires. Il est membre du conseil de direction de l’American Scientific Affiliation du Canada et membre de l’ASA (American Scientific Affiliation). Denis Lamoureux est l’auteur de Evolutionnary Creation : A Christian Approach to Evolution (2008), et I Love Jesus and I accept Evolution (2009).

Denis Lamoureux

Denis Lamoureux

Avec Phillip Johnson et William Dembski, Michael Behe est l’un des leaders du mouvement de l’ « Intelligent Design ». En 1996, Michael Behe écrit Darwin’s Black Box : La Boîte Noire de Darwin qui lui vaudra une notoriété internationale, en particulier dans les milieux évangéliques. Avant de mettre en évidence nos divergences, il est bon de souligner que Michael Behe et moi-même partageons plusieurs convictions. La complexité de la nature décrite par la biologie met en évidence l’existence d’un « Concepteur Intelligent ». Plusieurs versions de cette observation ont produit des arguments puissants en faveur de l’existence de Dieu tout au long de l’histoire de l’Église. Nous sommes aussi d’accord pour affirmer que la complexité en biologie n’est pas le fruit du hasard métaphysique ou de la nécessité.

En Amérique du Nord, le mouvement évangélique est marqué par une tradition antiévolutionniste forte, due à une lecture littérale des premiers chapitres de la Genèse.

D’où vient la popularité de Behe, biochimiste catholique, dans les milieux évangéliques ?

1Behe critique ouvertement les vues de Darwin sur l’origine de la vie. De nombreux croyants ont une vision démonisée de Darwin parce que sa théorie est en contradiction avec leur interprétation littérale de la Genèse. De plus, ces chrétiens pensent que Darwin avait la vision d’une évolution sans but, fruit du « hasard », ce qui est bien entendu inacceptable. Behe est en accord avec cette interprétation quand il affirme que les « variations aléatoires » sont le mécanisme qui dirige l’évolution darwinienne. Behe fait pourtant un contresens historique. Darwin n’a jamais embrassé une vision athée de l’évolution. Sept fois dans L’Origine des Espèces (1859), il fait référence au Créateur dans un contexte positif. Il écrit par exemple:

« Des auteurs très éminents semblent être satisfaits de l’idée que toutes les espèces ont été créées séparément. Dans mon esprit, il s’accorde mieux avec ce que nous savons des lois imposées à la matière par le Créateur, que la production et l’extinction des espèces passées et présentes soient dues à des causes secondes comme celles déterminant la naissance et la mort. »

Quelques années avant sa mort, il affirme :

« Dans mes fluctuations les plus extrêmes, je n’ai jamais été un athée dans le sens de nier l’existence de Dieu. »

2Plus encore, la popularité de Behe est due à son antiévolutionnisme exprimé dans Darwin’s Black Box. Grâce au concept de « complexité irréductible », Behe affirme que certaines structures biologiques sont trop complexes pour s’être développées par un processus graduel et évolutif.

« Par complexité irréductible, je veux parler d’un système unique composé de plusieurs parties bien assemblées et en interaction qui contribuent à la fonction de base, et si on enlève une seule de ces parties, le système cesse de fonctionner. Un système irréductiblement complexe ne peut être produit directement, par de légères modifications successives du système précurseur, car s’il manque une seule partie à ce système précurseur, il ne fonctionne pas. Un système biologique irréductiblement complexe, s’il y en a un, serait un défi puissant à l’évolution darwinienne.  La sélection naturelle ne peut que choisir des systèmes qui fonctionnent déjà : si un système biologique ne peut donc être produit graduellement, c’est qu’il a dû apparaître comme une entité complète, afin que la sélection naturelle puisse agir dessus. »

Ainsi, certaines structures biologiques ont dû apparaître directement et complètement. Behe prend soin de ne pas faire intervenir Dieu directement dans la nature pour créer ces structures supposées irréductiblement complexes. Pourtant, dans Darwin’s Black Box, il spécule dans un bref passage qu’une intervention divine ait pu créer la première cellule à partir de laquelle toute la vie a évolué :

« Les systèmes irréductiblement complexes dont j’ai parlé dans ce livre n’ont pas nécessairement été produits récemment. Il est tout à fait possible, et cette observation est basée sur l’observation des systèmes eux-mêmes, qu’ils aient été conçus il y a des milliards d’années et qu’ils aient été transmis par le processus normal de reproduction cellulaire. Un scénario spéculatif pourrait illustrer ce point. Supposons qu’il y a quatre milliards d’années, le concepteur ait créé la première cellule contenant déjà toute la complexité irréductible des systèmes biologiques dont nous discutons ici et beaucoup d’autres. (On peut postuler que la conception des systèmes qui devait être utilisée plus tard était déjà présente mais pas « déclenchée ». Aujourd’hui, de nombreux gènes contenus dans les organismes sont « éteints » pour un temps, mais peuvent se déclencher dans les générations ultérieures.) »

De manière tout à fait compréhensible, les chrétiens qui ont une vision interventionniste de Dieu dans la création ont rapidement brandi le concept de complexité irréductible et celui de la nécessité d’une intervention divine directe. Pour eux, la création de la vie n’a pu avoir lieu qu’au travers d’actes miraculeux. Bien sûr, pour ceux qui sont familiers avec les écrits de Darwin, une certaine ironie se trouve dans la thèse de la première cellule de Behe: c’est en effet une proposition similaire à celle de Darwin dans sa conclusion de L’Origine des Espèces ! Dans la dernière et célèbre phrase, Darwin écrit :

« Il y a de la grandeur dans cette vision de la vie, avec cette puissance initiale soufflée par le Créateur dans quelques formes ou dans une seule…et à partir d’un début si simple, des formes infiniment belles et magnifiques ont évolué et évoluent encore.  »

Mais que faire des affirmations de Behe à propos des données scientifiques et de sa théorie de la création des structures irréductiblement complexes ? Il est certain que Behe est un scientifique expérimenté en biochimie, ce que ne sont pas Johnson ou Dembski. Son livre rapporte à juste titre la complexité stupéfiante de la cellule, ce qui est à la gloire de Dieu. De plus, Behe a raison de souligner que la science moderne n’a pas encore élucidé comment les biomolécules et la cellule ont évolué.

Mais la question qui doit ici être posée est :

« Le fait de ne pouvoir expliquer comment ces structures complexes sont apparues est-il le reflet d’une « boîte noire »  dans laquelle Dieu serait intervenu, ou bien est-ce un trou noir dans notre connaissance ? »

Autrement dit: la création d’une première cellule est-elle un réel « trou » dans l’économie continue des lois de la nature nécessitant l’intervention de la main de Dieu ? Ou la position de Behe est-elle un exemple de la position problématique du « Dieu bouche trous » dans laquelle les trous ne sont que les lacunes de notre connaissance qui seront comblés par les progrès de la science ?

Deux choses me préoccupent dans l’affirmation de Behe à propos de la création « d’un seul coup » de structures irréductiblement complexes.

Premièrement, avant que des chrétiens affirment publiquement l’existence d’interventions miraculeuses de Dieu durant l’histoire géologique, il vaut mieux qu’ils en soient certains à moins d’embarrasser l’Église par des affirmations catégoriques et inconsistantes intellectuellement. Je suis plus que mal à l’aise avec les affirmations d’un seul homme : le biochimiste Behe. De telles affirmations devraient au moins être faites dans une communauté de biochimistes. Je connais un certain nombre de biochimistes professionnels, dont beaucoup de chrétiens convaincus, et leur appréciation de la thèse de Behe à propos de la 1ère cellule est assez négative.

Deuxièmement, il faut souligner que la théorie de l’évolution s’est d’abord appuyée sur le registre fossile de tissus et pas de structures biomoléculaires. La raison est que ces structures sont trop petites pour être fossilisées. Ainsi, Behe et ses collègues biochimistes ont de véritables difficultés pour reconstituer des précurseurs biomoléculaires parce qu’ils ne disposent pas de fossiles biomoléculaires sur lesquels travailler. Par contre, les os et les dents sont des tissus qui peuvent être facilement fossilisés et préservés. Laissez-moi vous donner un exemple dans ma spécialité -le développement des mâchoires et des dents- pour illustrer la difficulté rencontrée par la biochimie en matière d’évolution. Si je n’avais à ma disposition qu’une mâchoire humaine moderne, et que j’ignorais le registre fossile en matière de mâchoires et de dents, alors je n’imagine même pas comment il me serait possible d’avoir accès à toutes les séries de systèmes dentaires précurseurs que nous connaissons aujourd’hui. C’est exactement le problème auquel doivent faire face les biochimistes en matière d’évolution.

Les limites de l’imagination humaine et l’immense complexité des biomolécules seront peut-être les facteurs qui limiteront l’avancée des connaissances dans ce domaine. Mais j’ai plutôt tendance à penser que les progrès de notre connaissance combleront les trous, comme cela a si souvent été le cas dans l’histoire des sciences. Il est certain que ce sera une affaire complexe qui mettra en évidence la « conception intelligente » de l’univers. Pourtant, si Behe a raison et qu’il y a eu dans le passé une intervention divine pour créer la première cellule « d’un seul coup », alors il marquera l’histoire des sciences comme l’ont fait Galilée, Newton ou Einstein (et je brûlerai ce papier et me vanterai auprès de mes petits enfants que Behe était un bon copain !). Si un tel « trou » existe vraiment, les recherches futures ne feront alors qu’ « élargir » ce trou, et appuieront la nécessité d’une intervention surnaturelle. Pourtant, et je me répète, l’histoire ne nous fournit pas un seul exemple d’un tel trou. L’histoire nous montre plutôt que tous les trous que l’on a proposés ont été comblés par les progrès des sciences et une compréhension plus complète de la nature.

J’ai suivi avec intérêt le développement du mouvement de l’ «Intelligent Design » au cours de ces dernières années. Les théoriciens de ce mouvement prétendent progresser vers ce qu’ils appellent une « science théiste ». Le travail de Behe est la pièce maîtresse de leur programme. Pourtant, le problème principal de ce mouvement est qu’il ne définit jamais clairement ce qu’est la « science théiste » et qu’il ne propose aucun modèle concernant les origines. Les théoriciens du mouvement de l’I.D. ont des positions différentes et contradictoires en la matière, et ces positions ont même changé depuis que le mouvement s’est formé. Les positions de Behe en sont un exemple. Comme nous l’avons vu, il défend le concept de « complexité irréductible », et cette complexité semble apparaître dans le monde au travers d’évènements extraordinaires plutôt que lors d’un processus graduel et lent tel que l’évolution. C’est à cause de son interventionnisme et de son antiévolutionnisme que Behe a acquis une certaine popularité dans les milieux évangéliques.

Pourtant, en lisant et en discutant avec lui, j’ai commencé à me demander ce qu’il croit vraiment. Je lui ai demandé d’expliciter sa conception de la première cellule créée « d’un seul coup » ou « super cellule » comme certains de ses collègues l’ont nommée. Il l’a fait et m’a gentiment permis de citer sa réponse personnelle dans ce papier. Je le cite :

« Je ne pense pas qu’il y ait nécessairement eu une « super cellule ». L’Intelligent Design est compatible avec de nombreux scénarios différents sur la façon dont l’information a été introduite dans le système. Elle a pu être contenue dans les conditions initiales du Big Bang ou bien ajoutée après d’une autre façon. J’ai mentionné la « super cellule » dans mon livre, non pas pour défendre ce scénario, mais simplement pour montrer que le problème de l’âge des systèmes biochimiques est différent du problème de la manière dont ils sont présents. Ma position officielle est que je suis agnostique : je ne pense pas que nous ayons suffisamment de connaissances pour décider dès maintenant de la façon dont l’information a été introduite. Pourtant, nous avons assez de preuves pour affirmer selon l’ID que cette information a été introduite spécialement, et que les processus aléatoires décrits par Darwin ne peuvent l’expliquer. »

Notons un certain nombre de points tout à fait significatifs dans ce passage remarquable.

1Behe continue d’argumenter qu’une vision sans but de l’évolution ne peut pas rendre compte de l’origine de la vie. Je suis d’accord avec lui. Il suggère à nouveau que c’était la position de Darwin. Pourtant, comme nous l’avons déjà mentionné, cela ne correspond pas à la réalité historique parce que Darwin a admis ouvertement qu’il n’avait jamais soutenu un tel point de vue.

2Notons comment Behe s’éloigne lui-même de la notion de complexité irréductible. Souvenez-vous qu’une structure biomoléculaire irréductiblement complexe « ne peut pas avoir été assemblée dans un processus graduel tel que celui imaginé par Darwin parce qu’il ne fonctionne que s’il est complet » ; ainsi puisqu’«un système biologique ne peut  être produit graduellement, il doit être produit d’un seul coup, comme une unité complète. » Pourtant, la position officielle de Behe est qu’il est agnostique sur la façon dont cette complexité irréductible est apparue dans les systèmes vivants. En d’autres mots, la position de Behe n’est pas celle de l’interventionnisme exprimé dans Darwin’s Black Box.

3Notez que Behe spécule même sur le fait que cette complexité irréductible pourrait avoir été contenue dans les conditions initiales du Big Bang. Si c’est le cas, il trahit alors véritablement le concept de complexité irréductible ! Par définition, des structures biomoléculaires irréductiblement complexes ne peuvent avoir été assemblées morceau par morceau dans un processus graduel. La « complexité irréductible » ne peut apparaître que d’«un seul coup » durant l’histoire de notre univers, et pas au tout début.   La  position de Behe a donc évolué vers la théorie évolutive qui ne nécessite pas d’intervention directe de Dieu pendant le déroulement de l’histoire de la vie. Ce changement est caractéristique de beaucoup avant lui qui, après avoir affirmé qu’un « trou » existait dans l’histoire de l’univers ont compris qu’il s’agissait en fait d’un « trou » dans leur connaissance. Suggérer que la conception intelligente de l’univers pourrait avoir été contenue dans les conditions initiales du Big Bang est la preuve que les « trous » sont peut-être en train d’être comblés dans les positions de Behe à propos des origines.