Crédit illustration :

NASA’s Goddard Space Flight Center ; http://svs.gsfc.nasa.gov/11443
Planète HD 209458b : tellement chaude que son atmosphère entre en ébullition ! (image courtesy of NASA/ESA/CNRS/Alfred Vidal-Madjar)


Il y a un nombre infini de mondes semblables au nôtre et un nombre infini de mondes différents.

Epicure, Lettre à Hérodote, circa 290 av. JC

Il est donc d’innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ces soleils, à l’instar des sept “terres” [la Terre, la Lune, les cinq planètes alors connues : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne] que nous voyons tourner autour du Soleil qui nous est proche.

Giordano Bruno, L’Infini, l’Univers et les Mondes, 1584

On parle pas mal d’exoplanètes ces derniers temps. Ce terme un peu sec désigne simplement une planète en orbite autour d’une étoile autre que notre soleil. On parle aussi parfois de planètes extrasolaires. C’est la même chose. Comme le montrent les citations ci-dessus, il y a longtemps que l’on soupçonne leur existence. Il aura pourtant fallut attendre 1995 pour en détecter une[1]. Des milliers, littéralement, se sont jointes à la liste depuis. La chose commence à faire du bruit dans les milieux religieux au point qu’une nouvelle discipline, l’astro-théologie, est en train de naître, comme en témoignent ce numéro du journal Zygon partiellement dédié à ce thème ou bien cette page de l’observatoire du Vatican.

Cet article a simplement pour but de faire le point sur la situation actuelle en répondant aux questions suivantes[2] :

  • Comment les détecte-t-on ?
  • Combien seraient habitable ?
  • Combien y a-t-il de planètes habitables dans l’univers ?
  • Alors, on est seuls ou pas ?

Une remarque importante avant de commencer : ce texte n’aborde pas les conséquences théologiques des recherches sur les exoplanètes. L’idée est simplement de décrire l’état actuel des recherches en question.

Comment les détecte-t-on ?

L’imagerie directe. C’est la méthode la plus évidente, celle qui se rapproche le plus de ce que ferait monsieur tout le monde. On regarde dans un télescope assez puissant, et on voit une ou plusieurs planètes tourner autour d’une étoile. C’est ainsi qu’en 2008, on a pu observer 4 planètes en orbite autour de l’étoile HR 8799. L’étoile CVSO30 offre un autre exemple du même genre.

Si cette méthode la plus intuitive, ce n’est pas du tout la plus courante, comme le montre l’image ci-dessous,

Tiré d’une base de données de l’université américaine Caltech, ce graphique montre l’évolution du nombre d’exoplanètes connues année après année, avec en plus la proportion des techniques de détection impliquées. A ce jour, l’imagerie directe (« imaging », sur le graphe) a permis de découvrir 20 exoplanètes. Or, comme on peut le constater sur le graphique, on en est à 3 500 ! Comment donc ont été découvertes les autres ? Deux techniques monopolisent plus de 95% des détections : Le transit, et la vitesse radiale. Voyons cela.

Le transit. Vous regardez fixement une étoile. A bout d’un certain temps, vous vous rendez compte qu’à intervalle régulier, l’éclat de l’étoile faiblit, avant de revenir à la normale. Peut-être s’agit-il d’une tache sur l’étoile en rotation ? Non, car vous vérifiez que toutes les longueurs d’ondes sont affectées. Une tache ne ferait pas cela. Pas de doute, quelque chose passe entre l’étoile et vous, tous les x jours. Ce quelque chose, ce ne peut être qu’une planète.

Fixer les étoiles, c’est exactement ce que le satellite Kepler fait en permanence. Et quand il détecte une baisse périodique de l’éclat d’une d’entre elle, les analyses commencent. Voici par exemple le signal qui a permis de découvrir la planète HAT-p-7b[3],

On le devine, cette planète tourne autour de son étoile en un peu plus de deux jours terrestres. Armés des lois de la mécanique céleste et de ces observations, on peut calculer beaucoup de choses comme la distance de la planète à son étoile, la taille de la planète, la forme de son orbite, et plein d’autres choses encore. Le même principe permet de déduire la présence de plusieurs planètes en orbite, et aussi le sens de leur rotation.

Le satellite Kepler a été lancé en mars 2009. Sa mission a commencé après une période de rodage, et le nombre d’exoplanètes découvertes par la méthode du transit explose à partir de 2011 environ.

La vitesse radiale. C’est par cette méthode que fut découverte la première exoplanète en 1995, « 51 Pegasi b »[4]. Voyons comment ça marche. La terre ne tourne pas exactement autour du centre du soleil[5]. Elle tourne autour du centre de gravité du système terre-soleil. Mais vue la masse de l’un et de l’autre, le centre de gravité en question est à l’intérieur du soleil. Maintenant, si les distances et/ou le rapport des masses étaient différents, il se pourrait que le centre de gravité soit en-dehors de l’étoile. Imaginons donc la situation suivante,

La planète et l’étoile tournent autour du point rouge, centre de gravité de l’ensemble. Et vous, vous observez. Ce que vous allez voir, c’est l’étoile qui s’approche un peu de vous, puis s’éloigne, puis s’approche, puis s’éloigne, etc. Et quand elle s’éloigne, vous pouvez le savoir grâce à l’effet Doppler sur sa lumière. Idem quand elle s’approche. C’est du reste exactement comme cela que les radars de la Police mesurent la vitesse de votre voiture.

Notons que l’étoile oscille aussi si le point rouge est à l’intérieur. Mais dans ce cas, le mouvement sera très faible, et donc difficile à détecter. C’est pour cela que la méthode marche bien quand le point rouge est en dehors de l’étoile.

Si donc vous fixez une étoile et observez qu’elle s’éloigne et se rapproche légèrement et périodiquement, vous pouvez en déduire qu’une planète assez lourde tourne autour d’elle. Notons que cette méthode fonctionne même quand la planète ne passe pas devant l’étoile, comme c’est le cas sur la figure. En effet, si votre ligne de visée est inclinée par rapport au plan dans lequel tourne la planète, jamais elle ne vous masquera l’étoile. Vous pouvez donc détecter ainsi des planètes qui échappent à la technique du transit décrite plus haut. Et si votre ligne de visée est bien dans l’axe, vous pouvez tout à fait détecter une planète via cette méthode, et via celle du transit. J’ai pu ainsi repérer dans cette base de donnée au moins 2 planètes ayant été détectée par cette méthode (Kepler 68d et Kepler 432c), tandis que d’autres planètes du même système l’avaient été par celle du transit.

Les autres méthodes de détection recensées sur la première figure sont très intéressantes. La page Wikipédia dédiée aux méthodes de détection les explique très bien. Mais comme elles concernent moins de 5% des découvertes, je propose qu’on en reste là pour le moment.

  Combien seraient habitables ?

Evidemment, c’est la question qui nous intéresse. Parlons pour commencer des critères d’habitabilité. Pour des raisons biologiques dont je ne suis pas spécialiste[6], tous les experts semblent d’accords sur le faite qu’habitable implique « héberge de l’eau liquide en surface ». C’est une condition nécessaire si l’on veut aller y vivre un jour, et aussi une condition nécessaire pour le développement de la vie. Condition nécessaire certes, mais pas suffisante.

Et que faut-il pour avoir de l’eau liquide ? Chose étonnante, la première condition est d’avoir… une atmosphère. Pourquoi ? Parce que sans cela, la pression à la surface de la planète est presque nulle. Et sans pression, l’eau tant détestée du Capitaine Haddock est soit un solide, soit un gaz, mais jamais un liquide[7]. Une fois que l’on a une atmosphère, il ne faut pas être trop près de l’étoile (trop chaud), ni trop loin (trop froid). En l’absence d’atmosphère, il est très facile de déterminer les bornes de la zone habitable en fonction de la température de l’étoile. La présence d’une atmosphère rend ces bornes un peu floues tout en les éloignant de l’étoile, car l’atmosphère réchauffe la planète qu’elle entoure. C’est le fameux effet de serre, à l’œuvre par exemple sur Terre ou Venus.

Pour que la planète « vive » dans la zone habitable autour de l’étoile, il faut que son orbite demeure dans la zone en question. On sait en effet que les orbites sont des ellipses, le cercle parfait étant un cas particulier. Une ellipse trop allongée risquerait de sortir de la zone habitable. Le mieux est d’être le plus proche possible du cercle, ce qui garantit une quantité d’énergie solaire quasiment constante. Mathématiquement, la forme d’une orbite elliptique se mesure par un paramètre nomme excentricité, que l’on note « e ». Le cercle parfait correspond à e=0. Sur l’illustration ci-dessous (pas à l’échelle du tout), l’étoile est le point noir, à gauche. La zone grise est la zone d’habitabilité. L’orbite bleue a une excentricité nulle. Elle reste bien sagement dans la zone habitable. L’orbite rouge a une excentricité e=0,9. Comme on le voit, pas moyen de la faire tenir dans la zone habitable.

L’excentricité de l’orbite terrestre oscille entre (presque) 0 et 0,06. Je viens de dénombrer sur exoplanets.org/plots, 120 exoplanètes dont l’orbite satisfait e < 0,06.

Comme il est écrit dans ce tour d’horizon du problème de l’habitabilité,

 La question de savoir ce qui rend une planète habitable est beaucoup plus complexe que d’avoir une planète située à la bonne distance de son étoile hôte afin que l’eau puisse être liquide à sa surface .

Il ne faut pas trop d’UV en provenance de l’étoile, pas trop de diazote (N2) dans l’atmosphère. Avoir un champ magnétique est une bonne idée, car il vous protège des rayons cosmiques. Etc., etc.

Une fois nos 3 500 planètes passées au crible de l’habitabilité, combien font l’affaire ? Actuellement, une quarantaine, dont on trouvera le recensement sur cette liste de planètes potentiellement habitables. La plus proche n’est qu’a 4,2 années lumières d’ici, c’est-à-dire la porte à côte à l’échelle cosmique. Un projet de nano-vaisseaux poussés par laser est déjà sur les planches pour aller l’explorer.

Chose importante : les critères d’habitabilité sont actuellement l’objet de recherches intenses. Ils sont donc susceptibles de se durcir, ou bien de s’assouplir, ou bien de voir leur nombre augmenter.

 Combien y a-t-il de planètes habitables dans l’univers ?

Vous vous baignez dans un océan et voyez un poisson. Penserez-vous que vous venez de voir le seul poisson de l’océan ? Sûrement pas. Si votre océan ne contenait effectivement qu’un seul poisson, il faudrait une chance folle pour apercevoir le poisson du premier coup, après un bain de 5 minutes.

Ici, c’est un peu pareil. Si, après 2 décennies d’exploration, on a déjà découvert 3 500 exoplanètes, c’est qu’il y en sûrement beaucoup plus. En plus de cela, environ 2 000 autres détections sont en cours de confirmation. Sans compter que les méthodes de détection ne permettent pas de trouver toutes les planètes. Le transit, par exemple, ne marche que si la planète passe devant son étoile, quand on a la regarde depuis la terre. La vitesse radiale permet de s’affranchir quelque peu de cette contrainte, mais s’avère également inefficace si la planète tourne dans un plan perpendiculaire à la ligne de visée.

Bref, le nombre réel d’exoplanètes est bien supérieur au nombre détectable. Et si, sur les 3 500 déjà trouvées et confirmées, une quarantaine semblent habitables, c’est qu’il y a certainement beaucoup de planètes habitables, compte tenu des connaissances actuelles sur l’habitabilité.

En fait, de récentes estimations avancent un chiffre de 10 milliards de planètes habitables, rien que dans notre galaxie[8]. Et des galaxies, il y en environ 2 mille milliards dans l’univers observable[9]. Ça fait du monde.

Mentionnons pour finir le curieux cas des planètes errantes, qui vagabondent dans l’univers sans tourner autour d’aucun soleil. On soupçonne leur existence depuis longtemps, car il existe pas mal de moyens d’éjecter une planète d’un système[11]. On compte actuellement une quinzaine de candidates. En supposant que certaines aient une atmosphère, comment, loin de toute étoile, leur surface pourrait-elle être à la température de l’eau liquide ?

Le fond diffus cosmologique fournit une solution simple et exotique[12]. Sa température est aujourd’hui de -270 degrés Celsius (3 degrés Kelvin). Mais il était plus chaud dans le passé. Emis quand l’univers avait 380 000 ans, sa température initiale était de 3 000 degrés. Puis il s’est refroidit avec l’expansion de l’univers. Et lorsque celui-ci avait 10 millions d’années, il a atteint 100 degrés. Il a ensuite poursuivit son refroidissement, pour passer sous la barre des 0 degrés quand l’univers avait dans les 15 millions d’années.

Ainsi donc, quand l’univers a atteint 10 millions d’années, et jusqu’à 15 millions, nul besoin d’une étoile pour avoir la bonne température. L’univers entier baigne dans un rayonnement à la bonne température. La vie a-t-elle pu apparaître à cette époque sur une étoile errante ? Je laisse aux curieux le soin de lire cet article sur la question. Quoi qu’il en soit, il sera à jamais impossible de le vérifier, car même si on peut tout à fait observer le passé en observant loin, là, c’est vraiment trop loin[13]. La chose semble donc condamnée à demeurer un sujet de spéculations amusantes.

Alors, on est seuls ou pas ?

Commençons par la réponse. Dans l’état actuel des recherches, elle est à mon sens : ON NE SAIT PAS ! Voyons maintenant comment on en arrive là.

Nous l’avons vu, on a bel et bien trouvé une quarantaine de planètes qui semblent habitables. Mais comme on l’a dit, les critères d’habitabilité d’une planète sont actuellement l’objet d’intenses recherches[10]. Partant de là, de deux choses l’une :

  1. Les recherches sur les critères d’habitabilité réduisent ce nombre à 0, et aucune des milliers d’exoplanètes qui seront découvertes dans le futur ne passe le test. Si tel est le cas, il faudra bien admettre que les chances qu’il existe une planète habitable dans l’univers sont très réduites. Rappelons l’exemple des poissons : si après avoir pêché 10 000 poissons, vous n’en avez trouvez aucun qui soit rouge, et si vous savez que votre océan est assez homogène du point de vue de sa faune, c’est qu’il ne doit pas compter beaucoup de poissons rouges.
  2. Les recherches sur les critères d’habitabilité progressent, mais nos quarante planètes habitables ne se réduisent que, disons, à 30. Autrement dit, les critères additionnels, ou bien l’affinement des critères actuels, n’éliminent pas toutes les exoplanètes connues. Et dans 10 ans, forts d’un catalogue de 10 000 exoplanètes, on en connait une centaine qui semble bel et bien habitables. Il faudra alors bien admettre que le nombre de planètes habitables dans l’univers doit être gigantesque.

Si dans 10 ans environ, l’option 1 semble être la bonne, on pourra vraiment soupçonner que nous sommes seuls, et qu’il n’y a rien de mieux que notre bonne vieille terre.

Et si c’est l’option 2 qui s’avère correcte ? Pourrait-on en déduire illico que nous ne sommes pas seuls ? Pas sûr. Imaginons par exemple qu’il existe quelque part dans notre galaxie ou dans une autre, une terre-bis identique à la nôtre, dans un système planétaire identique au nôtre. Cette terre-bis abriterait-elle forcément la vie ? Cette question nous met en fait exactement face à la bonne vieille énigme : la vie est-elle nécessaire ou bien un coup de chance ? Si l’on repassait le film de la terre, la vie réapparaitrait-elle obligatoirement ? Et si elle n’est pas obligatoire, quelle est sa probabilité ? On le voit autant de questions qui sont loin d’avoir une réponse tranchée.

Ainsi donc, la seule chose sûre pour le moment est que les observations ne permettent pas une réponse facile à la question.


Quelques ressources

Outre les articles Wikipédia en Français ou en Anglais sur le sujet, voici deux bases de données précieuses:

https://exoplanetarchive.ipac.caltech.edu/exoplanetplots/

http://exoplanets.org/


Notes

[1] Voir http://adsabs.harvard.edu/abs/1995Natur.378..355M

[2] Un avertissement : le sujet bouge très vite. Pas moins de 1 500 exoplanètes ont été découvertes en 2016. Les sources et les bases de données que je vais citer ne sont ainsi pas toujours synchrones, et les chiffres seront tous à revoir (à la hausse) dans un an.

[3] Vous trouverez ici les normes régissant la nomenclature des exoplanètes.

[4] Votre note 1. Le titre du film d’animation Planète 51 vient peut-être de là.

[5] Que personne n’hurle au géocentrisme. Continuez simplement la lecture.

[6] Voir ici https://www.nasa.gov/vision/universe/solarsystem/Water:_Molecule_of_Life.html

[7] On voit cela très bien sur le diagramme de phase de l’eau. En dessous de 1/100 de la pression atmosphérique sur terre (10 mbar), la glace se vaporise directement au-delà d’une température critique, sans même passer par une phase liquide.

[8] Voir https://arxiv.org/abs/1707.02996v1 et les références incluses.

[9] Voir http://adsabs.harvard.edu/cgi-bin/bib_query?arXiv:1607.03909

[10] Voir cette revue des connaissances en 2016 http://adsabs.harvard.edu/abs/2016AsBio..16…89C, ou bien ces récents travaux sur la résistance de la vie aux évènements cosmiques comme les supernovæ, sursauts gamma, astéroïdes de grande taille, etc. https://arxiv.org/abs/1707.04253

[11] Par exemple par le simple jeu de l’interaction gravitationnelle entre les planètes d’un même système, ou bien le passage à proximité d’une autre étoile.

[12] Le roman de science-fiction de George Martin L’Agonie de la lumière, imagine encore une autre solution.

[13] Pour les intimes, la galaxie la plus lointaine connue actuellement est à z=11 (redshift). On parle ici d’une époque comprise entre z=137 et 100.

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