Merci à Michael Poole d’avoir autorisé la traduction et la publication de son article  La création, l’intelligent design et l’éducation des sciences  . Il a été écrit dans un contexte britannique et sera laissé dans son intégralité, mais il est très largement applicable au contexte français.

Mike Poole est membre de Christians in Science. Il est auteur de plusieurs livres et de 70 articles à propos des rapports entre la foi et la science. Il est actuellement un « Visiting Research Fellow » en science et religion au département d’éducation et d’études professionnelles du King’s College de Londres. Cet article a d’abord été publié dans  School Science Review 90.

 

Résumé

Les enseignants en science seront probablement interrogés par leurs élèves à propos du créationnisme et de l’ « intelligent design » (conception intelligente) au cours d’une leçon de science. En 2007, le ministère de la jeunesse, de l’éducation et de la famille du gouvernement du Royaume-Uni a publié un guide sur ces questions, suivi très rapidement par une résolution du Parlement européen du Conseil de l’Europe. Il semble donc approprié, tout particulièrement dans le contexte du 200ème anniversaire de la naissance de Darwin, d’examiner la signification de ces termes (créationnisme et intelligent design), et la façon dont celle-ci diffère de l’usage traditionnel des mots création et conception (design) de l’univers. Cet article s’adresse plus particulièrement aux enseignants en science qui pourraient ne pas être familiers avec les idées évoquées, et qui voudraient être capable d’évaluer ce qui est en jeu pour l’éducation des sciences.

 

Position du problème

Une inquiétude s’est exprimée dans les média, parmi les professionnels de l’enseignement et dans plusieurs publications érudites à propos de la signification des mots « créationnisme », et « intelligent design » (ID), ou conception intelligente de l’univers. Le ministère de la jeunesse, de l’éducation et de la famille a répondu à cette préoccupation publique en publiant son Guide à propos de la place du créationnisme et de l’ « intelligent design » dans les cours de science (DCSF 2007). Le Parlement européen du Conseil de l’Europe a aussi exprimé ses préoccupations dans une résolution intitulée Les dangers du créationnisme dans l’éducation (PACE, 2007). Puisqu’il s’agit d’une résolution et non d’une recommandation, ce texte n’appelle pas à une action obligatoire de la part des états membres. Cette résolution débute ainsi :

Le but de ce rapport n’est pas de questionner ou de combattre une croyance- le droit à la liberté de croyance ne le permet pas. Le but est d’avertir à propos de certaines tendances à faire passer certaines croyances pour de la science. Il est nécessaire de séparer la croyance de la science. Ce n’est pas une question d’antagonisme. La science et la croyance doivent être capables de coexister.

 

Le mot « croyance » aurait peut-être pu être précisé un peu. Il semble qu’il s’agisse de croyances religieuses et de vision du monde, plutôt que la croyance dans la rationalité, l’ordre et l’intelligibilité de l’univers qui soutient l’entreprise scientifique.

 

Terminologie

Les religions abrahamiques (christianisme, islam et judaïsme) partagent deux croyances (et d’autres encore) :

  • L’existence d’un Créateur de toutes choses.
  • La création a été conçue pour un but, une finalité.

 

Ces deux croyances impliquent l’idée de création et il est important de comprendre en quoi ceci est différent du « créationnisme ». Dans la deuxième croyance, les arguments du mouvement relativement récent dit de l’Intelligent Design (« ID » ou conception intelligente) doivent être distingués des croyances traditionnelles à propos de la conception de l’univers.

Pour comprendre les problèmes posés par le créationnisme et le mouvement de l’ID, ces distinctions sont essentielles. La confusion née quand des mots identiques ou proches sont utilisés avec des significations différentes.

Dans les prochains articles, nous préciserons les différences entre la notion de création et celle de « créationnisme », puis entre la croyance religieuse traditionnelle de conception intelligente du monde par le Créateur de celle du mouvement de l’Intelligent Design.

 

Création et « créationnisme »

L’idée théologique de création est celle d’un acte de Dieu qui amène à l’existence et qui soutient l’existence tout ce qui existe.

L’acte d’« amener à l’existence » est indépendant de toute forme de processus ou d’échelle de temps. Comme Augustin l’a formulé au quatrième siècle, la création a lieu avec le temps, et non pas dans le temps- c’est-à-dire que le temps lui-même fait partie de l’ordre créé. On retrouve cette idée de naissance du temps et de l’espace avec l’univers dans la physique moderne. L’idée de création peut donc cohabiter avec les théories scientifiques à propos des origines de notre monde, mais elle ne devrait pas être confondue avec elles. Pourtant, le « créationnisme » doit être distingué de la « création ». La résolution PACE (2007b) mentionne ceci dans un deuxième paragraphe :

Pour certains, la création, en tant que croyance religieuse, donne une signification à la vie. Néanmoins, le Parlement européen est inquiet d’une contagion éventuelle d’idées créationnistes dans nos systèmes d’éducation.

 

Le « créationnisme » implique une échelle de temps spécifique et des processus à la croyance dans la création. Les créationnistes tirent ceci de leur lecture particulière de certains textes religieux. Toutefois, il y a différent types de « créationnismes » : (a) le créationnisme de la terre ancienne ; (b) le créationnisme progressif, (c) le créationnisme de la jeune terre. Tous ces créationnismes supposent des actions surnaturelles de Dieu, (a) dans un passé lointain, (b) de temps en temps alors que le monde se déploie, (c) dans un passé géologique récent (10 000 ans). Bien que le document PACE 11375 (2007a) mentionne ces variétés de créationnismes, ceux-ci ne sont pas mentionnés dans le texte adopté (2007b). La résolution aurait bien fait d’éclaircir ce point car, depuis 1980 environ, le « créationnisme » fait référence pour le plus grand nombre au « « créationnisme de la jeune terre ». Le guide DCSF clarifie ce point dans son glossaire :

Créationnisme : un terme utilisé usuellement en raccourci pour désigner sa variante la plus fréquente : le « créationnisme de la jeune terre ». En plus d’être une croyance en la création, cette variante inclus la croyance particulière que la création a eu lieu par des évènements spécifiques, surnaturels et divins en six jours, il y a environ 6000 à 10 000 ans, plutôt que par des actions créatrice de Dieu au travers des processus naturels au travers de l’évolution stellaire, chimique et biologique. (DCSF, 2007 :6)

Le problème avec le mot « créationnisme », c’est qu’il ne laisse plus de mot disponible pour les croyants qui désire s’identifier à la fois avec la croyance dans la création et prendre des distances avec la croyance dans une terre géologiquement récente.

Une autre vue de la création est celle tout à fait orthodoxe de Dieu qui équipe le monde avec les propriétés physiques requises pour fonctionner de façon régulière et « naturelle », que nous interprétons en termes de lois scientifiques. Cette vision a pour nom (long !)  « l’intégrité fonctionnelle de la création » et trouve son expression dans l’évangile de Marc en ces mots :

“Jésus dit encore : Il en est du royaume de Dieu comme d’un homme qui jette de la semence en terre ; qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu’il sache comment (en grec automatos, selon la Bible de Jérusalem).  La terre produit d’elle–même, premièrement l’herbe, puis l’épi, enfin le blé bien formé dans l’épi” (Marc 4:26-28)

 

Une terre jeune ?

Cette croyance extrabiblique dans une terre géologiquement jeune importée par les créationnistes suscite l’étonnement. Il existe actuellement un consensus parmi les scientifiques dont c’est le champ d’expertise, des scientifiques de différentes confessions religieuses ou d’ailleurs d’aucune d’entre elles : l’univers a environ 13.7 milliards d’années, et  la terre a 4.6 milliards d’années, et pas 6 000 ou 10 000 ans. Ainsi :

Il n’est pas plus approprié d’enseigner que la terre est jeune dans des leçons de science qu’il ne serait d’enseigner la théorie du phlogistique comme une alternative aux réactions rédox. Il faut donc résister aux revendications de ceux qui réclament que la théorie de la terre jeune serait une théorie alternative qui devrait être enseignée par souci d’égalité. Il n’y a aujourd’hui  aucune controverse dans les cercles scientifiques informés à propos de l’âge ancien ou récent de la terre.

La théorie de la jeune terre illustre le danger auquel Galilée faisait référence, celui d’essayer de lire de la science moderne dans des écrits religieux anciens. Il se plaignait des tentatives de tirer de l’astronomie de passages comme le Psaume 19. Dans sa fameuse lettre à la grande duchesse de Toscane en 1615, il cite avec approbation le bibliothécaire du Vatican en disant que :

L’intention du Saint Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel, pas comment le ciel va.

L’affirmation que la terre a 6000 ou 10 000 ans est associée aux tentatives de l’évêque Ussher d’Armagh (1581-1656) et d’autres, de dater la terre à partir des généalogies incomplètes de la Genèse. La date de 4004 avant J.C. qui en fut déduite pour la création de la terre a été imprimée en marge de certaines copies de la « Version Autorisée » de la Bible, conférant à cette date un faux air d’autorité. Il faut bien garder à l’esprit que le langage religieux s’exprime sous beaucoup de formes très différentes, environ 33 dans la Bible uniquement, incluant de la poésie, des proverbes, des paraboles, de l’histoire, des paradoxes, des lettres circulaires et personnelles. Les premiers chapitres de la Genèse ont été écrits dans une « haute prose », un genre littéraire intermédiaire entre la prose et la poésie, parce qu’elle constitue un tract s’opposant aux cosmologies rivales du Moyen Orient, plutôt qu’un moyen de dater l’origine de la terre. Il nous faut encourager la coopération entre la science, l’enseignement de l’anglais et de la religion dans les écoles afin d’explorer toutes les utilisations du langage. On peut faire des comparaisons intéressantes de l’utilisation de comparaisons, de métaphores et de modèles à la fois en science et en religion, lorsqu’on parle de ce qui est nouveau, invisible ou difficile à imaginer.

Il ne faudrait pas enseigner qu’avant les découvertes géologiques du XIXème siècle, on interprétait systématiquement les premiers chapitres de la Genèse comme enseignant la création en six « jours consécutifs de 24 heures ». Les premiers Pères de l’église comme Origène et Augustin pensaient autrement. Origène d’Alexandrie (185-254) a écrit ce qu’il pensait de l’utilisation du mot « jour » dans le récit de la création du soleil de la Genèse le « 4ème jour », en demandant :

Maintenant, quelle personne intelligente croirait qu’il est raisonnable d’affirmer que le premier, le deuxième et le troisième jour ont eu lieu sans soleil, lune ou étoiles, et le premier jour comme s’il était sans ciel ?

Saint Augustin (354-430) était encore plus direct –et pas vraiment « politiquement correct »- lorsqu’il écrivit :

Habituellement, même un non chrétien a des connaissances à propos de la terre, des cieux, et des autres éléments de ce monde…Il est alors scandaleux et dangereux qu’un infidèle entende un chrétien, sensé lui donner la signification des Ecritures saintes, parler de manière absurde de ces sujets…les personnes qui n’appartiennent pas à notre communauté de foi pensent alors que nos écrivains sacrés pensaient de telles choses…S’ils trouve un chrétien qui fait erreur dans des domaines qu’ils connaissent bien et l’entendent maintenir des opinions stupides à propos de nos livres, comment croiront-ils en ces livres à propos de la résurrection des morts, de l’espérance de la vie éternelle, et du royaume des cieux… ?

L’historien et professeur David Livingstone (1987 :27) soulignait que

En gros, les géologues chrétiens avaient affronté et s’étaient accommodés du problème de l’âge de la terre longtemps avant l’apparition de la théorie de Darwin.

Il a donc été surprenant de trouver la croyance en une terre jeune en même temps que ce qui ressemblait à un réveil parmi certains groupes religieux au travers des écrits de Ellen White (1827-1915), une prophétesse adventiste du 7ème jour, chez son jeune disciple, George McCready Price (1870-1963), et chez Morris et Whitcomb dans leur livre paru en 1961 : Le déluge de la Genèse.

 

Finalité, conception de l’univers et le mouvement de l’Intelligent design

Beaucoup de religions partagent une croyance dans un monde fait pour un but, mais certaines font référence à un monde qui a mal tourné, ce qui signifie que la création nous envoie des messages mélangés. La proposition de Charles Darwin de la sélection naturelle en tant que mécanisme d’adaptation des êtres vivants à leur environnement contredisait les arguments de William Paley en faveur de l’existence de Dieu. Ces arguments étaient tirés de la conception apparente de chaque créature. Mais il était possible d’envisager la conception de telles créatures d’autres façons. L’une d’entre elles, soutenue par Malthus et privilégiée par Darwin était que les « lois de la nature » étaient conçues par un concepteur et indiquaient donc son existence. La comparaison faite par Darwin lui-même de ce qu’il nommait la sélection naturelle avec la sélection artificielle par les hommes était aussi interprétée par les commentateurs chrétiens comme impliquant les travaux de cette intelligence au travers de la nature, de la même façon que l’intelligence travaille au travers des croisements de pigeons.

Darwin a beaucoup fluctué dans son opinion de la religion, bien qu’il ait dit :

Dans mes fluctuations les plus extrêmes, je n’ai jamais été un athée dans le sens de nier l’existence d’un Dieu. (Darwin, F., 1958 :56)

Il concédait dans l’un de ses lettres à Asa Gray, bien que restant agnostique :

Je ne vois aucune raison pour laquelle un homme, ou un autre animal, n’aurait pas pu être conçu expressément par un Créateur omniscient, qui prévoyait chaque évènement futur et ses conséquences. (Brooke, 1985 :56).

Les croyances traditionnelles en la création et sa conception par le Créateur partagées par les chrétiens, les juifs et les musulmans, ont fait appel au fait qu’il existe quelque chose plutôt que rien. D’autres arguments ont aussi inclus le type de monde qui existe, l’existence d’un ordre moral, l’expérience religieuse, et l’intelligibilité de la nature. Einstein commentait ainsi ce dernier argument : « La chose la plus incompréhensible à propos de l’univers est qu’il est incompréhensible. » Un argument moderne en faveur de la conception (design) de l’univers est celui du « réglage minutieux » de celui-ci conçu pour la vie basée sur la chimie du carbone. C’est aussi ce qu’on appelle le principe cosmologique anthropique. Dans des termes plus familiers, on peut parler d’effet « boucles d’or », parce que l’univers, tout comme la soupe, le lit et la chaise de bébé ours paraissent parfaitement adaptés à la petite fille nommée boucle d’or. Ainsi, si les constantes de la nature, comme la constante de gravitation universelle, étaient un tant soient peu différentes, nous ne serions pas là.

Il ne s’agit bien entendu pas de « preuves » dans le sens scientifique du terme, mais ces arguments pourraient plutôt être considérés comme des « indicateurs ». Certains ont argumenté que la croyance en Dieu est d’ordre cumulative, comme dans une enquête policière. On dispose de plusieurs petits indices fiables, mais aucun d’entre eux ne suffit à lui tout seul pour convaincre de la culpabilité. La totalité des indices convergents peuvent néanmoins paraître suffisant pour émettre un jugement.

 

Les arguments défectueux du mouvement de l’Intelligent Design

Les discussions à propos de la conception intelligente ou non de l’univers plongent leurs racines loin dans le passé. Le mouvement de l’ « Intelligent Design » n’a débuté qu’en 1990. Ce mouvement affirme qu’il existe dans la nature des systèmes irréductiblement complexes, c’est-à-dire qui ne fonctionneront pas si un seul de leurs composants est absent, de telle façon qu’ils ne peuvent pas avoir évolué à partir de systèmes moins complexes. La formation de tels systèmes ne pourrait donc pas s’expliquer de manière naturelle, ce qui prouverait la conception intelligente. L’exemple le plus cité d’un système irréductiblement complexe est celui du flagelle d’une bactérie, un moteur miniature qui propulse certaines bactéries. Le mathématicien William Dembski  s’est intéressé à la base théorique permettant d’expliquer l’apparition naturelle d’objets possédant ce qu’il qualifie de complexité spécifiée (specified complexity), qui est trop complexe pour être apparue grâce à des phénomènes naturels uniquement. Dieu n’est pas reconnu ouvertement comme l’intelligence, mais il paraît bien impliqué.

Les arguments du mouvement de L’Intelligent Design (ID) semblent avoir les faiblesses suivantes :

1Ces arguments semblent sous-estimer le fait que des composants intermédiaires remplissent différentes fonctions à différentes étapes des processus évolutifs. Ceci rend les arguments probabilistes inappropriés- et faux.

 

2Personne ne sait si on trouvera une explication naturelle demain. Si c’est le cas et en raisonnant comme les partisans de l’ID, ceci signifierait que l’on      n’aurait plus besoin d’invoquer une « intelligence » et une intention explicite, puisqu’on disposerait d’une explication naturelle. On sait maintenant que les affirmations de Behe (1996) à propos du développement des systèmes immunitaires et des processus de cicatrisation sanguine qui n’auraient pas pu être expliqués par des changements graduels sont fausses.

 

3Si les systèmes présentant une complexité spécifiée sont les seuls à pointer vers une intelligence, alors qu’en est-il du reste de la création, que toutes les religions abrahamiques et d’autres ont traditionnellement vu comme le fruit de l’activité divine ? Si les lacunes (gaps) dans la connaissance scientifique actuelle sont les seuls endroits où l’on place l’activité divine, il semble bien que la vieille idée du « Dieu bouche-trou » (God of the gaps) ait été ressuscitée. Il y a longtemps, certains théologiens avaient à tort l’impression que leurs croyances à propos de l’activité divine étaient menacées par les explications scientifiques de certains phénomènes naturels. Ils ont alors adoptée la stratégie inutile et vouée à l’échec consistant à pointer du doigt les lacunes dans les explications scientifiques de leur époque, en disant «là, c’est Dieu ».

 

Il est difficile de voir autre chose dans le mouvement de l’ID qu’une version contemporaine de cette confusion- argumentant en faveur de l’explication de l’action d’un agent (Dieu) là où il existe encore des lacunes scientifiques dans les explications en termes de mécanismes. C.A. Coulson, premier professeur de physique théorique à la prestigieuse Université King’s College de Londres, écrivait d’un point de vue chrétien :

Si Dieu est quelque part dans la nature, alors il doit l’être depuis le tout début, et tout le long du chemin…Lorsque nous sommes confrontés à quelques chose d’inconnu en terme scientifique, notre attitude correcte n’est pas de nous réjouir d’avoir trouvé Dieu : c’est de devenir de meilleurs scientifiques. (Coulson, 1955 :9,7)

L’argumentation du mouvement de l’Intelligent Design à cet égard apparaît donc comme défectueuse et même contre-productive. Tout comme avec le créationnisme, les eaux sont encore davantage troublées par le fait que deux mots d’usage courant sont liés – en l’occurrence conception (design) et intelligente-  en donnant à l’expression « conception intelligente » (intelligent design) une signification iodiosyncrétique. Ceci a pour conséquence que ceux qui croient dans les arguments traditionnels en faveur d’une conception du monde sont laissés sans expression unique non ambiguë pour exprimer le fait qu’une intelligence (celle de Dieu) a conçu l’univers.

En résumé, les arguments traditionnels en faveur de la conception du monde sont indépendants et ne sont pas renforcés par la notion de complexité spécifiée promue par les partisans du mouvement de l’Intelligent Design (ID). En effet, leur argument principal est défectueux dans les trois tableaux dressés dans notre précédent article. Cependant, en répétant un paragraphe antérieur, en changeant des mots appropriés :

Il est toutefois important, dans l’intérêt d’une éducation des sciences de qualité, que le rejet de ‘l’argument en faveur d’une conception intelligente préconisé par le mouvement de l’ID’ comme un mauvais argument ne soit pas présenté comme une négation de la croyance traditionnelle dans la conception elle-même.

La science, et en particulier la biologie de l’évolution, avec ses concepts de hasard et de sélection ne contredit pas la notion de conception, tout particulièrement au regard du développement des algorithmes génétiques. Dans ces algorithmes, les hommes, agents intelligents, utilisent le hasard et la sélection dans la conception de leurs programmes informatiques, en utilisant des ordinateurs pour simuler les processus moléculaires impliqués dans la reproduction sexuée pour mettre à jour les conditions optimales afin de résoudre un éventail très large de problèmes.

Il n’est pas suffisant de pointer du doigt certains produits étonnants des processus évolutifs pour affirmer qu’il n’y a pas de conception de l’univers. Si l’univers a été consciemment conçu pour permettre l’émergence aux éléments nécessaires à la vie telle que nous la connaissons, via le big bang, alors d’autres choses allaient sûrement suivre. De vastes quantités de radiation résiduelle issue de la fusion nucléaire dans les étoiles allaient plus tard produire des mutations dans le matériel organique. Ceci a donné à la fois une riche variété d’êtres vivants, mais aussi des bizarreries et des cancers.

Il est surprenant de constater que l’émergence de concepts évolutifs soit vus par certains comme une menace à la religion, alors que des gens comme le révérend et professeur Charles Kingsley les interprétait comme soulignant tout à nouveau l’immanence de Dieu dans la création. Après tout, les déistes du XVIIIème siècle avaient dépeint Dieu comme un horloger cosmique qui, une fois le travail fait, n’ « intervenait » qu’occasionnellement pour balayer ou bien pour « tordre » ce travail. Ainsi, Charles Kingsley commentait :

Ils pensent qu’ils se sont débarrassés d’un Dieu interventionniste- j’appelle cela un maître de magie- ils ont choisi entre l’empire absolu de l’accident, et un Dieu vivant immanent et toujours à l’œuvre. (Kingsley, F., 1877 :171)

On peut voir l’évolution par sélection naturelle comme un moyen efficace de s’assurer que toutes les niches écologiques soient remplies. Si le climat et que les moyens de se nourrir changent, mais pas trop rapidement, les populations s’adapteront très probablement à ces changements plutôt qu’elles ne mourront. Dans L’origine des espèces, Darwin (1860, dans Darwin 1906 :658) citait une lettre que Charles Kingsley lui avait écrite, disant :

Un auteur célèbre et croyant m’a écrit qu’il a progressivement appris à voir que  la conception d’un Dieu qui  a créé un petit nombre de formes originales capables de se développer par elles-mêmes en d’autres formes utiles est tout aussi noble que de croire que ce même Dieu a eu besoin d’actes de création nouveaux pour remplir les vides occasionnés par l’action de ses propres lois.

De nombreux auteurs ont cité Aubrey Moore, le théologien et historien d’Oxford, écrivant 30 ans après la publication de L’origine des espèces, en disant :

 La science a repoussé le Dieu des déistes de plus en plus loin, et au moment où on avait l’impression qu’il allait être définitivement éloigné, le darwinisme est apparu, et, sous l’apparence d’un adversaire, il a fait le travail d’un ami. Il a conféré à la philosophie et à la religion un bénéfice inestimable en montrant qu’il nous faut choisir entre deux possibilités. Ou bien Dieu est présent partout dans la nature, ou il n’est nulle part.

 Entre autre, l’apparition de bizarreries a donc trouvé un sens parmi les produits des changements évolutifs dans un monde conçu par le créateur.

 

Conclusion

Les problèmes que nous avons soulevés ont été accentués par le fait que certains essayent de faire croire au plus grand nombre que la science justifie l’athéisme- ce qui donne une très mauvaise image de la science qu’elle ne mérite pas. La ‘religion’ n’est pas une ‘théorie scientifique’, et il est tout aussi vain d’essayer de se tourner vers la science, l’étude du monde naturel, dans l’espoir d’obtenir une réponse à des questions telle que celle de savoir s’il existe autre chose que le monde naturel (i.e. Dieu), et auquel ce monde naturel doit son existence. L’entreprise scientifique, qui étudie la matière et l’énergie, l’espace et le temps, n’est pas concernée pas les ‘causes premières ‘, telles que Dieu. Cette étude est hors de son champ d’action. C’est ce qui permet à ceux de toutes confessions, ou d’aucune d’entre elles, de coopérer dans un effort commun qui mérite d’être accompli.

Aux E.U., les tentatives pour que le créationnisme ou l’ID soient enseignés dans les cours de science ont échoué dans les tribunaux. Ils ont été jugés comme des idées religieuses, à l’encontre du premier amendement de la constitution. Toutefois, si la question du créationnisme ou de l’ID était soulevée par un étudiant en cours de science en Angleterre, les professeurs de science pourraient peut-être choisir de prendre le temps de clarifier la signification des termes ambigus dont nous avons parlé, en enseignant la différence qu’il y a entre la science et ce qui n’est pas de son ressort. En faire davantage serait de mon point de vue inapproprié. Le problème de savoir si l’univers a été conçu ou bien s’il est un accident, bien qu’il puisse être soulevé par la science, relève de concepts d’ordre religieux. Ce sont des questions qui, dans le langage de la version la plus récente de Science in the National Curriculum for England, tombent dans la catégorie des problèmes que ‘la science ne peut résoudre’.

La résolution PACE (2007b) dit en conclusion :

Nous demandons aux états membres…19.4 de s’opposer fermement au créationnisme en tant que discipline scientifique sur le même niveau que la théorie de l’évolution et en général, de résister à toute présentation d’idées créationnistes dans d’autres disciplines que celle des cours de religion ;

Cette dernière clause est peut-être trop restrictive, parce que le créationnisme pourrait bien être le genre de sujet que l’on pourrait traiter dans des études interdisciplinaires telles que l’éducation civique, l’anglais, l’histoire, la philosophie, l’éducation religieuse et les sciences. Dans des écrits plus anciens, j’ai plaidé fréquemment pour que différents départements interagissent dans les écoles en matière de science et de religion.

Remerciements :

Michael Poole remercie la délégation du Royaume Uni au Conseil de l’Europe pour les informations à propos des procédures à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que les professeurs Paul Black et John Brooke pour leurs commentaires à propos sur une première version de cet article.

 

Références 

Behe, M. J. (1996) Darwin’s black box. New York: Free

Press/Simon and Schuster.

Brooke, J. H. (1985) The relations between Darwin’s science and his religion. In Darwinism and divinity, ed.

Durant, J. p. 56. Oxford, Blackwell.

Coulson, C. A. (1955) Science and religion: a changing relationship. Cambridge: Cambridge University Press.

Darwin, C. (1906) The origin of species. 6th (last) edn.

London: John Murray (La citation apparait en premier dans l’édition de 1860).

Darwin, F. ed. (1958) The autobiography of Charles and selected letters (letter to a Mr J. Fordyee). New York:Dover.

DCSF (Department for Children, Schools and Families) (2007) Guidance on the place of creationism and intelligent design in science lessons.

http://www.teachernet.gov.uk/docbank/index.cfm?id=11890 (accessed October 2007).

Kingsley, F. (1877) Charles Kingsley, his letters and memories of his life. Vol. 2. London. (Cited in Meadows,

A. J. (1975) Kingsley’s attitude to science. Theology, LXXVIII(655), 20.)

Livingstone, D. N. (1987) Darwin’s forgotten defenders. Edinburgh: Scottish Academic Press/Eerdmans.

Morris, H. M. and Whitcomb, J. C. Jr (1961) The Genesis flood. Philadelphia: Presbyterian and ReformedPublishing Co.

PACE (Parliamentary Assembly of the Council of Europe) (2007a) The dangers of creationism in education.Working document, paras 32 et 33.

http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc07/EDOC11375.pdf (accessed October 2007)

PACE (Parliamentary Assembly of the Council of Europe) (2007b) The dangers of creationism in education.

Text adopted by the Assembly on 4 October 2007(35th Sitting).

http://www.assembly.coe.int/Main.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta07/ERES1580.htm (accessed October2007)

Lectures supplémentaires

Ayala, F. J. (2006) Darwin and intelligent design.

Minneapolis: Fortress Press.

Jones, L. and Reiss, M. J. ed. (2007) Teaching about

scientific origins: taking account of creationism. NewYork: Peter Lang.

Midgley, M. (2007) Intelligent design theory and other ideological problems. Impact  pamphlet 15 (ed. MichaelSmith). Philosophy of Education Society of Great Britain.

Poole, M. W. (2007) User’s guide to science and belief. Oxford: Lion Hudson