Article 2 sur un total de 2 pour la série :

Réflexions Pédagogiques sur Genèse ♥♥♥


Adam1

Continuons notre série Réflexions Pédagogiques sur Genèse 1-3. Nous essayons ici de donner un résumé succinct des éléments essentiels de  notre compréhension des récits fondateurs de la Genèse.

Dans la première partie de l’article, nous avions mentionnés les 4 points suivants, qui sont également résumés en quelques mots à la fin de cet article:

Point 1: Le choix du principe d’accommodation ou d’incarnation comme hypothèse de départ pour comprendre le rapport Bible-Science.

Point 2: Le choix du « genre littéraire » des récits fondateurs à la lumière du contexte socio-culturel et littéraire du POA.

Point 3: Le choix de prioriser les leçons théologiques et existentielles des récits fondateurs.

Point 4: Le choix de rééquilibrer la théologie de la création par rapport à la théologie de la rédemption.

J’aimerais maintenant allonger la liste, avec 3 nouveaux éléments qui ont déjà été abordés dans le passé, mais sur lesquels j’aimerais revenir brièvement ici. L’objectif est de chercher une certaine cohérence dans les propositions, et de chercher une base commune de réflexion. Certes, ce qui suit résulte d’une herméneutique qui divergent de ce que l’ont rencontre habituellement chez les évangéliques, mais je demeure dans la soumission totale aux Écritures pleinement inspirés. J’espère surtout combler le fossé entre l’église et la société, entre la science et la foi. Et limiter les obstacles à la présentation du message central : Christ est ressuscité !

Les trois propositions suivantes concernent l’anthropologie, la doctrine de l’homme. D’abord, comme je ne réfléchis plus le récit d’Adam et Ève à partir d’une compréhension historique et littérale, je vais tenter d’expliciter mon herméneutique. Qui est Adam ? Une première réponse sera donné au point 5: un « type de l’humanité et anti-type de Jésus-Christ ». Ensuite, comme j’adhère à la théorie de l’évolution, je me demanderai s’il est possible d’avoir une conception de l’homme qui soit dynamique et non statique ? Étant donné que le modèle traditionnel pense Adam comme quelqu’un qui a été créé parfait, d’un seul coup, immuable, pourrait-on penser l’homme être comme un être en croissance ? Finalement, après avoir inclus dans notre modèle anthropologique une perspective dynamique, nous inclurons au point 7 une perspective « existentialiste » s’opposant à la compréhension essentialiste d’Augustin et de Calvin sur Adam.

 

Point 5. Penser à la figure « d’Adam » non en terme d’« individu historique », mais en temps que «représentant de l’humanité ». 

C’est ici qu’une métanoïa herméneutique s’impose. Peut-être avons-nous eu tendance à projeter dans les textes bibliques nos présupposés individualiste ? Il serait très étonnant que les hébreux aient référé à Adam comme à une personne concrète, faite d’os et de chair. D’ailleurs le nom d’Adam n’a rien de personnel: il signifie « humain ». Il semble plus probable que les auteurs hébreux aient pensé à Adam en terme de « représentant de l’humanité », et non comme de quelqu’un d’historique. D’ailleurs le prologue de Genèse 11 a une perspective trop volontairement universaliste pour qu’on cherche un premier ancêtre au peuple Juif. N’est pas raconté dans ce prologue l’histoire du peuple Juif; celle-ci débute avec Abraham après Genèse 11. Est raconté avec le langage des symboles, qui seul peut raconter les origines lointaines et en amont de l’histoire, les débuts de l’humanité, de façon à comprendre l’élection d’Israël dans le présent, et son rôle parmi les nations. (Voir l’article Genèse et le projet de l’humanité)

 

De plus, dans la Genèse, « le peuple entier y est identifié d’une façon ultra réaliste avec son premier ancêtre »[1]. Le nom du père, ce que ce nom signifie, se retrouve compris dans les caractéristiques du peuple. Ce que l’ancêtre est, le peuple le devient. Souvenons-nous de l’exemple des fils de Loth; l’origine des deux peuples ennemis d’Israël est identifié à leurs naissance dans l’inceste ! : « Les deux filles de Loth devinrent enceintes de leur père. L’aînée eut un fils qu’elle appela Moab (Issu du père) ; c’est l’ancêtre des Moabites qui existent encore aujourd’hui. La cadette aussi eut un fils, qu’elle appela Ben–Ammi (Fils de mon parent) ; c’est l’ancêtre des Ammonites qui existent encore aujourd’hui.» (Ge 19.36-38)

De même en Genèse 10, chaque peuple ou groupe ethnique est représenté par une seule famille, un seul ancêtre, étant donné que la pensée sémitique n’isole jamais l’individu de la communauté. Prenons aussi l’exemple d’ « Israël »; Israël est le représentant du peuple de la première alliance; ce qui caractérise Israël (celui qui lutte avec Dieu) caractérise de même le peuple. Les premiers théologiens avant Augustin « étaient capables de se représenter un singulier collectif, un individu qui vaut un peuple »[2]. Adam est pour les hébreux l’ancêtre éponyme. Il est « à l’ensemble des hommes ce que les patriarches est à l’ensemble de son peuple »[3].

 

Avec Adam, le premier père, c’est l’expérience de chaque humain qui est visée.  Pour la pensée des Sémites, Adam permettait de penser l’unité du genre humain, son aspect irréductiblement « collectif », sa solidarité. Dire qu’Adam est le « père » de tous les hommes, c’est comme dire : nous sommes tous frères, nous sommes semblables ! Parler d’un premier ancêtre, « C’est là une façon concrète, on dirait visuelle, d’universaliser[4] l’expérience de chaque homme. Même Jésus réfère au premier homme non pas comme individu mais en son sens collectif : « ish » ou « anthropos » (Marc 10. 6-8 et Mat 19.5) qui est la pensée des sémites. Transférons-nous plutôt notre conception individualiste dans notre interprétation de la Genèse ?

 

6. Penser la figure d’Adam dans une perspective plus dynamique, comme un être en croissance. 

Cette perspective s’oppose à une conception fixiste et statique du monde et de l’homme. Dans le cadre conceptuel augustinien, repris globalement par les réformateurs, Adam arrive au monde parfait et statique, spirituellement tourné vers Dieu et moralement infaillible. Mais une autre perspective est possible. Elle avait même cours avant Augustin. C’est celle d’Irénée de Lyon (120-177 ap J-C) et de Tertullien. Selon eux, Adam était appelé à croître en sainteté dans une marche pavée d’épreuves.
Écoutez Irénée de Lyon (120-177 ap. J-C) pour qui le thème de l’homme créé « en état d’enfance » progressant à travers le temps était cher: « Il fallait que l’homme fut, puis, existant, qu’il crut, ayant été créé, qu’il devint homme adulte; étant devenu qu’il se multipliât; s’étant multiplié qu’il prit des forces; ayant pris des forces, qu’il fut glorifié; ayant été glorifié, qu’il vit le Seigneur »[5] Nous avons donc parfaitement le droit, je pense, de remplacer, dans la théologie évangélique, notre vision statique et stoïcienne d’Augustin, par une perspective dynamique qui colle plus aux vérités scientifiques concernant l’homme.

La conception augustinienne sur Adam était celle d’un homme créé adulte, composé d’une nature faillible  et corruptible, mais à laquelle Dieu avait ajouté une surnature d’essence divine, la grâce octroyée comme un don surnaturel.  « La conception de l’innocence originelle (d’Adam chez Augustin) est conditionné par l’idéal stoïcien »[6] : une impassibilité  devant les passions, la domination de la raison sur la sensibilité, notamment sexuel, donné par grâce parce qu’Adam demeurait en Dieu. Cette compréhension substantialiste de l’homme cadre de moins en moins avec une herméneutique des récits de la création s’alliant avec la pensée hébraïque sur l’homme.

 

Même les Pères de l’Orient avant Augustin, n’avaient jamais eu d’Adam une telle conception (Cf. Jean-Claude Larchet, spécialiste de la théologie et de la spiritualité des Pères). Ils le voyaient plutôt comme parfait, mais « en germe », avec un « potentiel » d’être à la ressemblance de Dieu. Se trouve ici aussi, chez les orthodoxes, une conception dynamique de l’humain, qui ne possèdent pas dès le début une perfection achevée, mais suit un processus naturel de croissance faisant appel à la volonté humaine et à la foi. Certes l’homme perd sa ressemblance et sa relation avec Dieu en péchant, mais il en garde l’image, la dignité, ainsi que la liberté et la responsabilité, soutenu par la grâce suffisante, de se repentir et de cheminer à nouveau vers Dieu en recevant, par la foi le Fils de Dieu, Jésus-Christ.

Cette idée peut être riche en développement pour comprendre la nature faillible de chaque bébé, et comprendre le processus de conversion, suscité par la grâce.

7. Penser le péché comme un problème « d’existence » avant d’être un problème d’essence. 

La métanoïa à opérer maintenant est de prendre le péché comme un problème existentiel, et non comme un problème qui a trait à l’essence même de l’homme. Autrement dit, le péché fait partie de l’existence humaine, il ne fait pas partie de l’essence humaine. Est remis en question un certain type de pensée essentialiste qui cherche à spéculer à partir de la Bible sur l’essence de l’homme, sur la nature de l’homme  « avant et après la chute », et sa prétendue transmission héréditaire.

L’apport de la philosophie existentialiste est intéressante ici pour comprendre l’homme: Le cadeau de la vie, c’est l’existence. «  L’existence ne nous est donné que pour la conquête de l’essence » (Louis Lavelle, De l’acte, p.103). « Elle n’a donc point d’essence, ou encore son essence est d’en avoir point afin précisément d’en acquérir une. Son existence c’est celle de sa propre possibilité tendue vers l’acquisition d’une essence » (L. Lavelle, De l’âme humaine, p. 212). Ainsi les bébés ne naissent pas dans une essence « bonne » ou « mauvaise », mais naissent dans la condition d’une liberté incarné dans un corps. Le corps n’est pas un tombeau. Certes il est chargé de nécessité et d’involontaire. Mais s’arrêter là serait oublier la liberté qui, elle, ne se laisse pas déterminer ni par une nature, ni par un environnement. C’est elle qui, ultimement, guidé et soutenue par la grâce, décide de son essence finale.

Cette perspective à l’avantage de nous faire rester en dehors des spéculations théologiques sur l’essence de l’homme, sur la nature du péché et sa transmission héréditaire. Elle cherche à comprendre la problématique du péché à partir des conditions d’existences. Ce texte de Paul me semble aller dans ce sens:

« Lorsque le corps est porté en terre comme la graine que l’on sème, il est corruptible, et il ressuscite incorruptible ; 43  semé infirme et faible, il ressuscite plein de force et glorieux. 44  Ce que l’on enterre, c’est un corps doué de la seule vie naturelle ; ce qui revit, c’est un corps dans lequel règne l’Esprit de Dieu. Aussi vrai qu’il existe un corps doté de la seule vie naturelle, il existe aussi un corps régi par l’Esprit. 45 L’Ecriture ne déclare–t–elle pas : Le premier homme, Adam, devint un être vivant, doué de la vie naturelle ? Le dernier Adam est devenu, lui, un être qui, animé par l’Esprit, communique la vie. 46  Mais ce qui vient en premier lieu, ce n’est pas ce qui appartient au règne de l’Esprit, c’est ce qui appartient à l’ordre naturel ; ce qui appartient au règne de l’Esprit ne vient qu’ensuite. 47  Le premier homme, formé de la poussière du sol, appartient à la terre. Le « second homme » appartient au ciel. 48  Or, tous ceux qui ont été formés de poussière sont semblables à celui qui a été formé de poussière. De même aussi, ceux qui appartiennent au ciel sont semblables à celui qui appartient au ciel. 49  Et comme nous avons porté l’image de l’homme formé de poussière, nous porterons aussi l’image de l’homme qui appartient au ciel.  » (1 Co 15.42-49)

Le bébé en Adam n’est pas corrompu. Il est seulement, comme Adam, semé infirme et faible. Il aura besoin de la grâce, de l’église, de sa famille et de la société pour l’orienter.

Pour conclure ce point, voyons l’exemple de Paul au prise avec sa lutte intérieure. Il crie : «  qui me délivrera de ce corps de mort… » (v.24).

 

Paul en Romains 7 exprime cette condition existentielle qui le pousse au bord du désespoir devant la loi. Il dit : « je ne comprends pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux, et c’est ce que je déteste que je fais. » (v.15). Plus fort encore est ce cri du cœur : « Dans mon être intérieur, je prends plaisir à la Loi de Dieu. Mais je vois bien qu’une autre loi est à l’œuvre dans tout mon être : elle combat la Loi qu’approuve ma raison et elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui agit dans mes membres. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps voué à la mort ? » (v.22-24)

 

On sent bien Paul impuissant à accomplir la loi. Il juge celle-ci bonne et spirituelle selon son entendement, mais il voit ses membres comme un obstacle insurmontable au désir de sa raison et de sa volonté de plaire à Dieu. Il sent que son corps le rend prisonnier du péché en lui, dans sa chair, dans ses membres. Il serait tentant de conclure que Paul est victime d’une nature corrompue, viciée par le péché « en lui ». Ou encore que Paul est le lieu de combat entre ces deux essences en lui, la réalité corporelle – mauvaise – et la réalité spirituelle – bonne.

 

Or, nous savons que le mal n’est pas une essence, une substance matérielle qui pourrait « imbiber » un corps ou une volonté. Nous savons fausses les conceptions corporelles gnostique et  dichotomique, où le corps est d’essence mauvaise, et l’âme/esprit est bon. La pensée hébraïque conçoit autrement l’homme. Elle la voit comme une seule entité indissociable (corps/âme/esprit), devenu pêcheur par choix, non par essence.

 

De cette lutte intérieure que vit Paul, il faut plutôt déduire ceci : Paul exprime la tension existentielle présente au cœur de chaque hommes: la tension entre la volonté désirante et la nécessité du corps. Ce rapport incessant entre le volontaire et l’involontaire en l’homme demeurent toujours une interaction continuelle, une tension « indépassable » sinon que par l’Esprit et la grâce. Et ce que fait l’Esprit n’est pas d’aider la raison à dominer plus sévèrement sur le corps, mais d’aimer le corps, l’involontaire qui l’habite, l’apprivoiser, faire un avec lui.

 

Cette tension ne peut absolument pas se résoudre par la négation du corps, ce qui reviendrait à nier la condition humaine. Pour atteindre à l’obéissance de la loi, il faut marcher par la foi, par la grâce et par l’Esprit ! Jamais Dieu n’a voulu que l’homme atteigne ou maintienne la perfection de la Loi. Mais plutôt qu’il réalise son besoin de l’Esprit de Dieu et de sa grâce, qui est la façon dont Dieu se rend présent à l’humain.

La nature humaine à son état naturel n’est donc pas « mauvaise » au sens de corrompue, viciée. Elle est seulement incapable de parvenir à Dieu par elle-même. Et elle est seulement incapable, de par sa finitude et sa vulnérabilité, de parvenir par elle-même à un état de perfection, qui est de l’ordre de l’infini, du divin, vers lequel la volonté désirante rêve parfois d’aspirer.

 

Bruno Synnott,

Résumé des 4 premiers points:
1- Nous avions premièrement établit le principe de non-contradiction entre la Bible et la science : Les vérités bibliques en Genèse 1-3 ne peuvent pas être d’ordre scientifique ou historique puisqu’elles contrediraient la science. La science cherche à expliquer l’origine de la création depuis l’intérieur. la Bible révèle des vérités de foi sur le sens de cette création. Elle vise davantage à révéler la signification de cette création pour les premiers lecteurs du POA (Proche Orient Ancien), ainsi que le « cadre de vie » que Dieu a mis en place pour toute l’humanité.

2- Replacer les récits fondateurs dans leur contexte semble confirmer l’hypothèse du point 1; car l’examen des autres mythes du POA montre à quel point Genèse entretient un rapport polémique avec les récits concurrents. Et combien les vérités bibliques transforment et renouvellent le wordlview (vision du monde) des peuples antiques jusqu’à les écraser complètement. Et de fait elles sont toutes disparues. Les nouvelles informations, dévoilée par l’archéologie depuis un siècle, renforce notre première intuition d’éviter toute forme de concordisme scientifique et historique, qui, avouons-le, est une préoccupation plus moderne qu’antique.
3- Des vérités telles que : chaque être humain est créé « à l’image de Dieu », ou encore que le monde est créé « très bon ». La première révélant non seulement la vocation de vice-roi que Dieu donne aux humains, mais elle l’aptitude relationnelle d’être en relation avec Dieu. L’autre déclarant «Très bon = tob » le monde, révélant que Dieu rend capable la nature et l’humanité d’atteindre, avec son assistance, les espérances que Dieu place en eux. C’est ainsi que les humains sont invités à en prendre soin du monde et à s’y investir, en demeurant en harmonie avec Dieu, les autres, l’environnement, etc. C’est toute la théologie du 7e jour que le premier chapitre de Genèse nous fait découvrir, à la lumière duquel se comprend la rébellion et le péché contre Dieu dans le chapitre 3.
4- Il a été souligné l’importance d’établir un rapport plus équilibré entre la théologie de la création et la théologie de la rédemption. Car il semble que la théologie du péché (Genèse 3) finisse par perdre de son sens si elle est déconnectée du cadre de vie proposé par le Créateur (Genèse 1-2). « Accepter Jésus », sans comprendre le projet de Dieu pour l’humanité – et chaque être humain en particulier – peut-il réellement faire du sens, et structurer une réelle métanoïa, un retournement de perspective ?
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[1] Roger Leys (1969), Teilhard de Chardin et le péché original, dans Le Christ cosmique de Teilhard de Chardin, ed du Seuil, Paris, p. 191
[2] Ricoeur (1955), Histoire et Vérité, ed. du Seuil. p.115
[3] Ricoeur (1960), La Symbolique du Mal, Aubier, p.229
[4] Roger Leys (1969), Teilhard de Chardin et le péché original, dans Le Christ cosmique de Teilhard de Chardin, ed du Seuil, Paris, p. 188).
[5] Ricoeur, Penser la création, p.59; fonction universalisante des événements primordiaux
[6] PÉCHÉ ORIGINEL, André Dumas, dans l’Encyclopaedia Universalis, Albin Michel, 1998, p. 650

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