Introduction (Benoit Hébert) :

Merci à « Little (?)  nice Yannick » alias Gakari1 de m’avoir fait découvrir le blog de « Big Bad Bruno », pasteur au Québec. Et merci à Bruno d’avoir accepté la publication d’un de ses articles sur ce blog! (Lien ici)

Voici comment Bruno se présente lui même:

« C’est ma passion pour l’église qui me fait rêver à une église évangélique un peu moins dogmatique, moins fondamentaliste, moins anti-cience et plus communautaire, égalitaire et pertinente culturellement. Je suis impliqué dans une église évangélique et anabaptiste comme pasteur jeunesse et je travail également comme intervenant en soins spirituels et religieux dans un hôpital de Montréal, Québec. Je m’intéresse finalement à comprendre la philosophie herméneutique d’un Paul Ricoeur, croyant (intuitivement) qu’elle aidera l’église évangélique à se sortir des impasses herméneutiques actuelles.  »

J’ai beaucoup de choses en commun avec le contenu des articles de Bruno et je vous invite à découvrir son blog

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« En rédigeant cette réflexion, je pense aux jeunes chrétiens qui vont étudier en science au cégep ou à l’université. Je pense aussi à Éric Wingender, théologien québécois (1957-2011) grand amoureux des sciences. Comment rendre recevable, pour nos contemporains, les premiers récits de la Genèse? Pour entamer le dialogue, il me semble essentiel d’examiner le rapport de ces textes avec la science, et aussi avec l’histoire.
Par rapport à la science, ces textes sur la création du monde sont-ils conciliables ou incompatibles? Par rapport à l’histoire, ces textes sont-ils historiquement recevables ou pures fables? L’impression que les églises évangéliques ont été engluées dans l’interprétation de ces textes ont motivée ma recherche. Nous proposons qu’une meilleure distinction entre les textes de la création (Ge 1-2), la science et l’histoire saurons probablement nous guider hors de l’impasse actuelle.
Depuis que j’étudie la théologie, je constate le malaise de l’église évangélique québécoise face aux récits de la création. Dans quel sens doit-on les prendre ? Littéralement, symboliquement, historiquement, allégoriquement ? Nous sommes pris avec une tradition d’interprétation qui paralyse l’église à l’intérieur comme à l’extérieur. À l’intérieur par une certaine façon de dogmatiser et d’historiciser les récits de la création qui ne font pas consensus. À l’extérieur, par une difficulté à entrer en dialogue avec le monde académique ainsi que les scientifiques chrétiens.

Avant de débuter, je rappellerai très brièvement les trois rapports possibles entre les récits de la création et la science, ainsi qu’avec l’histoire. Dans la littérature évangélique, nous retrouvons trois façons d’envisager ce rapport Genèse – Science; je renvoie le lecteur au livre-référence d’Henri Blocher, révélation des origines, PBU, 1988.

Rapport Science – Récit de création

  • Le premier rapport est « la conciliation » entre les textes bibliques de Genèse 1-3 et la science. Cette position est appelée concordiste. On fait ici ressortir les correspondances harmonieuses entre les découvertes scientifiques et les récits de la création. Au premier jour correspondrait le Big Bang par exemple. Les autres jours correspondraient à des périodes du développement de l’univers et du monde terrestre.
  • Le second rapport en serait un « d’opposition » à la science. Cette approche ferait des récits de la création les seuls vraies explications scientifiques du début de l’univers, de l’apparition de la vie animale, de l’homme, etc. Elle affirme que la science chercherait à égarer les croyants avec la théorie du Big Bang et de l’évolution. Cette position affirme de même que ce qui est révélé dans les textes, c’est ce qui s’est passé « tel quel ». Ils font du texte biblique une interprétation littérale.
  • La troisième est un rapport de « distinction ». Elle attribue à la science et aux récits de la création deux fonctions différentes. Voici une citation de Stéphane Rhéaume, pasteur de l’église évangélique des Frères Mennonites de St-Eustache (dans laquelle je suis pasteur jeunesse) : « La Bible a surtout pour but d’expliquer la signification du monde dans lequel nous vivons (le qui et le pourquoi) alors que la science tente surtout d’expliquer la mécanique des choses (le quand et le comment). À certains égards, les deux peuvent très bien se compléter. » Ceux qui adhèrent à cette position, assez largement répandue dans le monde académique évangélique, propose une interprétation littéraire. Celle-ci s’intéresse d’avantage aux enseignements de fond du texte (Dieu est créateur, le mal est contingent, l’homme et la femme sont égaux, créé en image de Dieu, etc.) qu’aux informations d’ordres scientifiques qu’on pourrait glaner en interprétant le sens littéral du texte, car cela conduirait inévitablement à retourner au rapport de la conciliation ou de l’opposition.
Il y a aussi une variation subtile, « audacieuse » au dire même d’un de ses promoteurs, le théologien Henri Blocher, qui avoue avoir peur de quitter le sens obvie du texte, « sens privilégié en cas de doute » (p.256). Blocher tente de « concilier » la théorie scientifique de l’évolution et l’acte de création directe d’Adam et Ève situé « à l’aube du néolithique, en misant sur l’admirable correspondance concrète observable entre Genèse 4 et les descriptions des préhistoriens. » (p.251). Plusieurs autres théologiens ont aussi spéculé sur l’origine de la création de l’homme en se plongeant dans la paléontologie humaine, mais sans consensus ; par exemple Blocher à proposé 10 000 ans avant J-C, B.B. Warfield propose de donner à Adam 200 000 ans (p.251).
Blocher reprend en plus, et en partie, la thèse catholique (Cf. humani generis) de la « préparation évolutive » (p.244) de l’homo sapiens sapiens. Il affirme que, quelques parts il y a 10 000 ans avant J-C, « Dieu a conféré son image à une créature précédemment préparé » (p.251). Dieu aurait fait d’Adam le chef fédéral des hommes et il a pu étendre à ses contemporains le privilège de l’image, de telle sorte qu’ils ont pu devenir à leur tour des hommes au sens spirituel. Dans cet amalgame scientifico-biblique, on constate que de nombreux problèmes se dressent : quoi penser de différenciation des races amorcée longtemps auparavant au paléolithique ? Même Blocher renâcle d’exclure hors de la « vrai humanité » les Néanderthaliens, les hommes de Cro-Magnon. Il concède aussitôt qu’ « Il parait impossible de faire sortir toute l’humanité d’une seule souche en -10 000 » (p.253).
Mais le point que je veux soulever c’est que, indépendamment de toutes les nombreuses d’objections que l’hypothèse de Blocher soulève (Adam avait-il un langage formé et complet, ses fils ont-il inventé l’agriculture, ses petits-fils les instruments de musique, une tradition orale s’est-elle transmise durant 9000 ans jusqu’à Moïse sans que le langage se modifie, etc.?)… cette hypothèse tend soit à « s’opposer » à la science en  imposant une nouvelle théorie de l’apparition de l’homme, soit à « concilier » ces textes avec la science en ouvrant la porte aux spéculations sur les périodes de la préhistoire (Adam = homme de Néanderthal, Caïn et Abel = homme du néolithique, Abraham = âge de fer, etc.). Nous voilà encore pris dans des spéculations scientifiques à partir du sens littéral du texte.
Regardons maintenant le rapport que font les évangéliques entre ces textes de création et l’histoire. Nous pouvons reprendre, là aussi, les trois mêmes rapports possibles :

Rapport Histoire – récits de création

  • Le premier est un rapport de « conciliation ».. La très grande majorité – sinon la totalité – des théologiens évangéliques placent en effet les textes de la création  «  dans l’histoire ancienne » . Ces récits peuvent être situés historiquement à un moment précis. C’est ce que tente de faire Blocher pour qui il ne faut pas se laisser distraire par le genre littéraire, poétique ou symbolique  des textes (les 2 arbres, le serpent, la côte d’Adam, etc.); ces textes rapportent malgré tout des faits historiques, même s’ils ne sont pas facilement repérables dans le temps.
  • Le deuxième option est un rapport « d’opposition » avec l’histoire. Ce sont surtout les théologiens rationalistes libéraux qui avancent l’idée que ces textes non seulement n’ont rien avoir avec un quelconque événement historique, mais qu’ils seraient semblables aux fables et aux mythologies des peuples préscientifiques. Ils font une interprétation surtout allégorique des textes, les sortant de l’histoire.
  • Finalement, la dernière option, qui est celle que nous proposons, est un rapport de « distinction ». Ces textes auraient une fonction différente des textes à caractère historique. Cette avenue développée par plusieurs théologiens protestants et catholiques me semble de loin la plus prometteuse pour sortir de l’impasse actuelle. Les récits de la création ne serait pas en soit historique (situable dans un temps et un lieu) à cause de leur fonction de « fonder l’histoire » (Paul Ricoeur). Voir blog sur le mythe.Disons pour l’instant que tout texte qui commence par : « Au commencement… » se classe dans un genre littéraire « à part ». Même -10 000 ans sortirait de toute catégorie historique normale. L’écriture fut inventé vers 3000 avant J-C. Pour les rédacteurs de la Genèse, l’intention ne fut certainement pas de fonder historiquement la situation existentielle du peuple d’Israël. Ceux-ci sont entrés en dialogue avec les mythes du Proche Orient Ancien et, sous l’inspiration du Saint-Esprit, ont rationalisé et transformé ces textes pour leur permettre d’exprimer la condition existentielle du peuple d’Israël. Mais ultimement « Au commencement », cela sort du cadre de l’histoire normal, ainsi que la mémoire humaine; « Au commencement », il n’y avait pas d’hommes ! Pas de témoins humains.
Pourquoi s’acharner à vouloir donner un caractère historique à ces textes? Dans son livre sur la révélation des origines, Blocher ne réussit pas à sortir du dilemme augustinien d’une transmission biologique d’une culpabilité juridique à tout homme dès le ventre de la mère (contre Pélage), d’avec l’acte volontaire du péché qui est un schème central des écritures (Deutéronome 30.15ss). Blocher exprime magnifiquement son dilemme augustinien en ces mots qui termineront cet article :

«  Si Adam est le chef sans être le père, ce qui s’accorde mieux avec la tendance générale de la solution, les difficultés ne manquent pas. Il est vrai que le parallèle avec le Christ (Rm 5,12ss) n’exigent pas la paternité, puisque le Christ, justement, est chef sans être père. Il peut y avoir solidarité sans hérédité, et Actes 17.26 ne précise pas : d’un seul homme (ex henos peut se comprendre : d’un seul principe, l’apôtre rejoignant les stoïciens dans l’affirmation de l’unité humaine). Mais les humains sont quand même « fils d’Adam », benê ‘ àdam : toute idée de filiation est-elle effacée? De quelques façons la faute s’hérite-t-elle, passant des parents aux enfants : ne faut-il pas qu’un père ait commencé ? ».

Nous revoilà englués dans l’historicisme.
Bruno Synnott »