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Quelques réflexions à propos de la synthèse "Adam, qui es-tu?" aux éditions Excelsis


J’ai beaucoup apprécié la première partie du chapitre car, avant tout autre forme de considération, HB y met en valeur la portée spirituelle des premiers chapitres de la Bible.

« L’intention de Genèse 3 nous parait étiologique : rendre compte de la présence du mal dans un monde dont l’extrême bonté/beauté avait réjoui le Créateur (Gen 1.31). » [1]

HB montre que le mal ne fait pas partie des intentions de Dieu dans la création, il est étranger à la volonté de Dieu.

« L’originalité radicale du récit biblique, comparé aux mythes et aux schèmes de la plupart des philosophies,…, consiste à disjoindre l’origine de l’être et l’origine du mal…Quand Dieu confère l’être (Gen 1 et 2), tout est « bel et bon » (connotations du mot tôv), ..Le mal ne survient qu’ensuite, par la désobéissance ou trahison (Gen3). Le mal est, dans la « très bonne » création de Dieu, un intrus »[2]

Tout en prenant ses distances avec un Paul Ricoeur âgé ( « Il faut signaler honnêtement que Ricoeur dans la dernière tranche de sa carrière a tendu à s’éloigner encore davantage du fin discernement de sa jeunesse, pour lequel je dis ma gratitude. »), HB reconnaît que « le philosophe a su percevoir et justement interpréter la singularité de la Genèse. »

« Dans son puissant traitement des symboles développés que sont pour lui les mythes du mal, il (Paul Ricoeur) a vu l’opposition du « mythe adamique » (comme il l’appelle) à tous les autres. Partout ailleurs, le mal s’explique d’une façon ou d’une autre, comme une composante de l’être comme tel…Tout le contraire dans l’Ecriture : « Mal et Histoire sont contemporains : ni le Mal ni l’Histoire ne peuvent plus être rapportés à quelque désordre originaire ; le Mal devient scandaleux en même temps qu’historique. » Scandaleux comme inexcusable : il n’est plus fatal, mais coupable. Ricoeur discerne la portée de cette originalité : l’historicité de l’entrée du mal dans le monde…est indispensable au « monothéisme éthique » : la confession d’un Dieu personnel et moralement parfait, car s’il est le Dieu unique, tout l’être vient de lui et s’il est moralement parfait de lui ne peut procéder aucun mal. »[3].

Bruno Synnott a souligné que certains théologiens protestants et/ou évangéliques (Schneider,Murphy ou Harlow) ont renoncé à cette vision des choses en faisant du « péché originel » le produit inévitable du passé évolutif de l’homme.

C’est peut-être l’un des freins à l’acceptation de l’évolution pour beaucoup d’autres théologiens évangéliques.

En accord avec HB, Bruno Synnott a aussi montré que l’on pouvait accepter l’évolution sans pour autant adhérer à cette conception « biologique » du Mal. Sans croire à l’historicité d’Adam, Georges Daras a montré comment il était possible de croire dans l’historicité de l’entrée du péché dans le monde par l’homme.

La description biblique du Mal faite par HB a pour moi beaucoup de sens

 « Le mal n’est pas de l’être. Il ne relève donc pas de la « métaphysique », et c’est faussement qu’une tradition appelle la finitude « mal métaphysique ». La finitude est bonne, elle dessine les contours du chef-d’œuvre divin. Du coup, le mal est moral-relationnel. Il procède de l’abus du privilège humain, de la liberté de la créature image de Dieu. C’est par l’excellence de ses pouvoirs que l’homme pèche, et introduit le mal dans le monde…L’historicité du mal rend possible celle du salut. »[4]

HB montre bien que le récit de Genèse 3 porte en lui-même les promesses et les fondements de l’évangile. La promesse d’un Sauveur qui « écraserait la tête du Serpent ».

A partir de là, HB adopte des positions typiquement héritées d’Augustin que certains (dont moi) trouveront beaucoup plus discutables.

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La nécessité de maintenir l’historicité de l’entrée du péché dans le monde par « un seul homme », et donc le concordisme historique auquel HB adhère le conduisent à essayer de localiser historiquement la « chute » au cours du processus évolutif.

HB veut donc (comme Matthieu Richelle) maintenir l’historicité d’Adam. L’hypothèse d’un Adam relativement récent (Néolithique, il y a 10 000 ou 12 000 ans) ne semble toutefois pas lui convenir. L’une des raisons invoquées m’a paru particulièrement étonnante dans le débat actuel.

HB évoque « la paternité d’Adam, que toute la tradition a cru lire dans l’Ecriture. ».[5]

Matthieu Richelle a proposé que l’on pouvait lire le texte biblique différemment.

Inerrance oblige, nulle part MR ou HB n’envisage que la Bible soit effectivement écrite dans une perspective monogéniste, mais qu’il s’agissait d’une conception ancienne des origines qui ne fait pas partie de la révélation, comme l’a proposé Denis Lamoureux.

HB envisage de situer Adam individu historique bien plus en amont ( -40 000 ?  il y a donc de très gros trous dans les généalogies de la Genèse !!) : « au moment où émerge la conscience réfléchie, la conscience du sujet responsable, capable de s’interroger sur l’ultime. »[6]

Que dire de la tradition orale qui aurait permis de retracer l’histoire d’Adam et de ses descendants ? A moins que l’auteur biblique n’écrive sous la révélation historique du Saint Esprit, lui révélant les âges et les noms… ?

J’ai été très surpris de lire qu’HB envisageait sérieusement le monogénisme.

« Les acquis scientifiques excluent-ils que toute l’humanité descende d’un seul couple ? L’opinion qui prévaut estime qu’elle n’a jamais compté moins de plusieurs milliers (en tout cas centaines) d’individus. »[7]

Parler d’ « opinion » en la matière, c’est pour le moins sous-estimer les différentes lignes de preuves génétiques indépendantes montrant le polygénisme.

HB imagine une intervention génétique miraculeuse (c’est du moins ce que je comprends) créant l’homme, ancêtre de tous les humains ! Certains ne manqueront pas d’y voir un argument du type « Dieu bouche-trou ».

« Mais à supposer que l’acte créateur de l’Homo Theologus se soit servi d’une mutation génétique, est-il si facile de la concevoir d’un pareil nombre, en même temps ? Des savants aussi prestigieux que Jacques Ruffié ou Jérôme Lejeune ont conçu des scénarios où tout commence par un seul individu… »[8]

God-of-the-Gaps
Il est écrit sur le tableau, au milieu des calculs « Et là, il y a un miracle », ce à quoi l’autre personne répond: »Je crois qu’il vous faudrait être plus explicite à cet endroit. »

Je ne sais pas exactement de quand ces scénarios datent, mais il ne semble pas qu’ils aient survécu à la lecture complète des génomes dans la communauté des généticiens… HB va jusqu’à s’opposer aux conclusions généralement admises au sein de cette communauté « J’en fais déjà état dans Révélations des Origines…Et je n’ai rien vu passer depuis qui remette en cause les principes de ces solutions. »

C’est sûr qu’en invoquant un miracle comme explication, il sera difficile de remettre scientifiquement en cause une telle solution !

Le scénario est lui aussi très étonnant :

« S’il est juste de concevoir la paternité adamique selon ce genre de modèle (qui n’est pas un article de foi !), la diversité génétique de l’humanité présente pourrait s’expliquer selon le schème d’une hypothèse, aventureuse sans doute, mais qu’aucune donnée biblique ne me semble exclure absolument. L’hybridation d’adamites avec les descendants pré-adamites, telles que les descendants soient tous descendants d’Adam et que les autres (qui ont contribué quelques gènes) aient tous disparu, préserverait la vérité révélée de l’unité humaine dans la filiation d’Adam et Eve. »[9]

S’agit-il de préserver la vérité révélée, ou préserver le présupposé théologique du concordisme historique et scientifique en matière d’interprétation biblique?

L’analyse du théologien Peter Enns à propos du livre du théologien John Collins Adam et Eve ont-ils réellement existé ?, auteur qui refuse lui aussi de considérer que la Bible ait été écrite avec les connaissances anciennes de ses auteurs en matière d’histoire et de science, me parait au moins en partie, s’appliquer à cette portion de l’article de HB :

« Collins n’est pas arrivé à une conclusion à propos d’Adam, mais il a démarré avec cette conclusion, et il a ouvert des chemins créatifs, mais non convaincants, dans différents champs de connaissance pour soutenir l’idée d’une première paire. Adam et Eve ont-ils réellement existé ? nous propose une série d’arguments du type « il est possible que » : le fait de jeter le doute, mais au minimum, sur des positions alternatives est présenté comme un contre argument, et donc ipso facto comme un soutien à propos de la plausibilité de la position traditionnelle. De tels arguments auront peu d’effet sur les chrétiens qui cherchent des solutions durables à un problème herméneutique réel et pressant. »

 


[1] Henri Blocher,Adam, qui es-tu?, p.160

[2] Ibid, p.161-162

[3] Ibid, p.162-163

[4] Ibid, p.165

[5] Ibid,  p.167

[6] Ibid,  p. 168

[7] Ibid, p.169

[8] Ibid, p.169

[9] Ibid, p.169


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