Article 4 sur un total de 4 pour la série :

Les arguments du Nouvel Athéisme sont-ils recevables? ♥♥♥


 

Nous continuons  notre analyse des arguments d’Alister McGrath dans « Pourquoi Dieu ne s’en ira pas », une réponse aux arguments du Nouvel Athéisme contre la foi en Dieu, et en particulier contre le christianisme, tout en poursuivant notre conversation avec Rodolphe, qui se qualifie lui-même de « matérialiste athée » (vous trouverez cet échange dans les commentaires et suggestions de ce site).

Le cœur de notre conversation concerne en définitive les limites de la démarche scientifique et de la raison humaine.  Pour Rodolphe, les limites de la méthode scientifiques sont « indéfinies ». Elles ne le sont pas pour moi, ni d’ailleurs pour ceux qui pratiquent la science au quotidien. Ainsi, Guillaume Lecoîntre, du Museum d’Histoire Naturel de Paris, très actif dans sa dénonciation du créationnisme « scientifique » a reconnu en introduction de sa série de conférence « Evolution? Evolution! » que les scientifiques en tant que professionnels n’étaient pas habilités à se prononcer à propos de l’existence ou non d’un Créateur (ce qu’il qualifie de créationnisme philosophique, par opposition au créationnisme scientifique.)

Sur ce premier point, laissons maintenant la place à Alister McGrath

«La science est la grande histoire à succès de l’exploration intellectuelle humaine. Elle est largement considérée comme le mode de connaissance humaine le plus sûr et le plus fiable, et elle a gagné cette réputation enviable grâce à la modestie de ses ambitions. Les scientifiques savent qu’ils n’ont pas à donner leur opinion sur tout et n’importe quoi- juste sur ce qui peut être prouvé par l’investigation rigoureuse et le test.

La nature de la science

La science cherche simplement à décrire les formes et les processus du monde ; elle se refuse à faire des observations à propos des valeurs ou de la signification. Et elle a bien raison d’agir ainsi, parce que l’autorité intellectuelle et culturelle de la science dépend de façon critique de sa neutralité absolue en matière d’éthique, de politique et de religion. Ce point a été souligné depuis longtemps par Thomas H. Huxley (1825-1895) dans sa déclaration célèbre, la science « commet un suicide lorsqu’elle adopte un crédo. » Huxley avait totalement raison. Si la science est prise en otage par les fondamentalistes, religieux ou anti religieux, son intégrité intellectuelle est compromise et son autorité culturelle remise en question. » (Why God won’t go away, pp 107-108)

La plus grande partie de ma discussion avec Rodolphe a tourné autour de son affirmation : « Le concept de transcendance étant indécidable, on ne peut rien en dire et par conséquent conclure, jusqu’à preuve du contraire à son inutilité. ».

Ce que je reformule ici : « puisqu’il est impossible de savoir rationnellement si Dieu existe vraiment, cette question devrait être laissée de côté, il est vain d’y chercher une réponse. »

Je propose plusieurs pistes de réflexion.

Tout d’abord, Rodolphe suggère que pour que la foi en Dieu ait de la valeur, il faut que cela soit démontrable rationnellement, presque scientifiquement. Sa posture paraît donc être celle d’un agnostique qui admet qu’on ne peut pas se prononcer sur la base de la raison seule (ce que j’admets sans problème). J’ai qualifié cette attitude  de « posture stratégique », même s’il refuse cette expression.

Avec quelques réticences bien compréhensibles, et après avoir donné une définition très personnelle du matérialisme, Rodolphe admet qu’il a bien pour lui-même tranché la question : Dieu n’existe pas, et que «nous évoquons là des considérations philosophiques par nature discutables. » Si donc Rodolphe a décidé pour lui-même à propos de « l’indécidabilité de la transcendance » ou plutôt de la « non transcendance », sur quelle base refuse-t-il ce droit aux chrétiens ?  Rodolphe reproche aux croyants d’avoir une attitude : »qui postule sans preuve aucune l’existence d’une transcendance ». Mais quelle preuve donne-t-il de la non-existence de Dieu? Chacun sait qu’il est très difficile de prouver qu’il n’existe pas de cygne noir… Nous voilà donc sur un autre terrain que celui de la méthode scientifique, et je suis heureux de l’entendre.

Par moment, son l’athéisme est une position philosophique « de nature discutable ». Et à d’autres moments, Rodolphe suggère au contraire qu’il s’agit d’une position scientifiquement fondée. En effet,  l’athéisme de Dawkins ne serait pas moins fondée que l’agnosticisme de Gould, car Dawkins prétend bien que son athéisme est prouvé par la science, et la théorie de l’évolution en particulier.

Comme l’a magistralement montré Alister McGrath dans un article que je vous invite à consulter :

« Dawkins présente le darwinisme comme une super autoroute intellectuelle pour l’athéisme. En réalité, la trajectoire intellectuelle tracée par Dawkins semble déboucher dans l’ornière de l’agnosticisme. Et ayant calé à cet endroit, elle y reste. Il y a un saut logique substantiel entre le darwinisme et l’athéisme, que Dawkins semble vouloir combler par de la rhétorique, plutôt que par des preuves. S’il faut donner des conclusions solides, il faut le faire sur d’autres terrains. Et ceux qui nous disent le contraire avec ferveur doivent nous en fournir l’explication. »

Bref, le discours de Rodolphe est un double discours. Parfois seulement un agnostique, à d’autres moments, il se range derrière ceux qui prétendent que la science a bel et bien prouvé que Dieu n’existe pas.

Rodolphe semble aussi adopter la théologie du Dieu bouche trou, comme si, parce qu’une explication scientifique se « passe de Dieu », c’est que Dieu lui-même est remplacé par l’explication du phénomène :« Je rappellerai que si la théorie de l’évolution n’a pas la prétention de montrer l’inexistence de Dieu, en fait néanmoins l’économie de cette hypothèse, ce qui ne la rend pas moins pertinente pour autant. » Qui a dit que pour qu’une théorie scientifique soit pertinente, elle devait faire intervenir Dieu ?

La raison humaine est elle capable de répondre à tous les types de questions? Notamment, les questions existentielles? La vie vaut-elle la peine d’être vécue? Il y a-t-il une vie après la mort… ? Citons encore une fois Alister McGrath

 

« Les Lumières et le rôle de la raison humaine

Les idéaux des lumières jouent un rôle important dans la pensée des auteurs du Nouvel athéisme. En effet, les critiques du Nouvel Athéisme n’ont pas mis longtemps pour montrer que ce courant est profondément ancré dans le modernisme, une tendance culturelle actuellement en retrait…

Mais alors que le Nouvel Athéisme tend à présenter les Lumières comme une réaction contre Dieu, on pourrait encore mieux les voir comme une quête pour libérer les idées et les institutions humaines d’une autorité extérieure (comme l’état de l’église), et les placer sur une base universelle et rationnelle, qui requerrait l’assentiment par la force des preuves, et pas par celle des armes…

Les Lumières ont posé toutes les bonnes questions et ont défié une série d’attitudes et de croyances traditionnelles qui avaient besoin d’être renouvelées. Et pendant un moment, on a réellement cru que cela marcherait. La raison humaine pouvait traiter de toutes les grandes questions de la vie sans faire appel à une autorité supérieure-ou d’ailleurs, à tout autre forme d’autorité. Mais après les ravages de la première guerre mondiale, il était évident que la quête des Lumières pour la vérité était mal en point. Pourquoi ?

L’une des préoccupations principales était que l’appel des Lumières à la raison humaine en tant que source ultime d’autorité ne pouvait être vérifié. Comment était-il possible de prouver son bien-fondé ? Certains ont prétendu que la raison elle-même pouvait prouver sa propre autorité. Mais pour ses critiques, cela n’était pas persuasif. La défense de l’autorité de la raison humaine par elle-même était visiblement circulaire, supposant et dépendant de ses propres conclusions. Il y avait un bug dans le processus de raisonnement humain, et la raison elle-même n’était pas capable de le détecter. Nous étions prisonniers de certaines façons de penser, sans trappe de sortie. Certains disent que le rationalisme libère. Des âmes plus sages disent qu’il a la capacité de piéger et d’emprisonner.

La montée récente du postmodernisme n’est pas un symptôme d’irrationalisme, mais une protestation contre l’incapacité existentielle du rationalisme et l’autoritarisme qu’il a encouragé. Les gens ont commencé à réaliser les déficiences manifestes d’une approche de la vie déterminée – par opposition à informée par- la raison, et ils ont protesté contre ceux qui ont essayé de les enfermer dans une cage rationaliste.

Le travail du mathématicien et philosophe autrichien Furt Gödel (1906-78) a donné une nouvelle rigueur à ces préoccupations. Alors qu’il n’avait que 25 ans, Gödel a proposé son « théorème d’incomplétude. » Bien que les théorèmes de Gödel fussent avant tout mathématiques, il était évident qu’ils avaient des conséquences philosophiques profondes, rien de moins que la preuve de l’incapacité de la raison à démontrer sa propre compétence. L’un des interprètes les plus récents de Gödel explique ici l’importance de ce travail :

« Comment une personne, agissant à l’intérieur d’un système de croyance, incluant les croyances à propos de la croyance, aller en dehors de ce système pour déterminer si celui-ci est rationnel ? Si votre système entier est infecté par la folie, incluant les règles mêmes grâce auxquelles vous raisonnez, alors comment pouvez-vous sortir de cette folie par la raison ? »

…Ce point est tout simplement ignoré par ceux qui parlent naïvement de libre pensée, inconscient de la capacité de la raison à tromper, limiter et emprisonner. La raison est contrainte.

Une autre préoccupation vient s’ajouter à cela. Des critiques plus récentes des Lumières ont argumenté que sa recherche de fondation et de critères de connaissances universels ont finalement échoué quand il est devenu clair qu’elles ne pouvaient tenir ses promesses. Pour McIntyre, cela signifiait que les êtres humains devaient réaliser qu’il leur fallait raisonner et vivre en l’absence de vérités purement rationnelles, claires, non ambigües et absolues. Nous devons en effet articuler et justifier les critères pour lesquels nous pensons que nos croyances sont justifiées, mais aussi réaliser que ces critères peuvent reposer au-delà de la preuve. » (Why God won’t go away, pp 97-99-100)

Voilà, cher Rodolphe. C’est sur cette base que je répète ce que j’ai déjà écrit. Je crois dans le Christ ressuscité à cause de sa parole, de l’action du Saint Esprit, du témoignage des autres chrétiens dans l’Histoire et de mon expérience personnelle. Et je considère que cela n’est pas moins raisonnable que de ne pas y croire, ça l’est même pour moi davantage !

C’est sur cette base aussi que j’ai cité CS Lewis, ancien athée avant de se convertir au christianisme:

« Je crois dans le christianisme comme je crois que le soleil s’est levé: pas simplement parce que je le vois, mais parce que, grâce à lui, je vois tout le reste. ».

Et je suis bien sûr d’accord avec vous sur le fait que « notre cerveau traite les informations à notre insu. (raccourcis, simplification, référence à des modèles connus, etc…) »


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