Introduction (B.H.) :

HypnosisJ’ai été intrigué en regardant les dix premières minutes de l’émission d’Arthur sur TF1 vendredi dernier. Dans cette émission, un « hypnotiseur » provoquait le sommeil d’un certain nombre de personnes, connues ou non, et parvenait à leur suggérer un certain nombre de comportements. Etant absolument ignorant du phénomène de l’hypnose, je me suis posé un certain nombre de questions quant à cette pratique. Des questions de natures scientifiques et médicales: dispose-t-on d’une explication neurologique de l’hypnose ?  Mais aussi des questions de nature spirituelle : un chrétien peut-il avoir recours à l’hypnose ? Est-ce une pratique occulte et dangereuse (conviction largement répandue dans les milieux évangéliques) ?

Joël Montbrun ouvre pour nous la discussion sur ce sujet. Après une licence en psychologie à l’université Paris X, Joël Montbrun effectue un master avec une spécialisation en neuro-psychologie. Il se qualifie lui-même de « protestant évangélique ».

La publication de cet article ne signifie pas que l’équipe Science et foi approuve tout ce qu’il contient. Je remercie Joël d’avoir accepté de rédiger cet article, étant données ses connaissances en la matière. Notre idée est de permettre à plusieurs de partager leur expérience et leur connaissance de l’hypnose, pour qu’en tant que chrétien et personnes ouvertes à la science, nous ne tombions pas dans le travers qui serait de rejeter à priori une pratique qu’au fond nous ignorons. J’espère donc qu’à la lecture de cet article et des commentaires qui le suivront, nous disposerons d’outils intellectuels et spirituels nous permettant de nous faire une opinion sur la (les) pratique (s ) de l’hypnose.

 

L’hypnose, Par Joël Montbrun

L’hypnose est un phénomène qui a fait couler beaucoup d’encre et cogiter beaucoup d’esprits. Encore aujourd’hui la science n’explique pas tous les mécanismes de l’hypnose, mais des éléments de connaissance émergent et permettent de mieux la comprendre. La Bible ne parle pas d’hypnose et à ma connaissance l’hypnose n’est pas décrite dans la littérature antique. Cependant, comme tout sujet qui touche à l’Homme, il est pertinent de s’y intéresser. D’autant plus que « l’hypnose de spectacle », dans laquelle les sujets semblent perdre toute volonté et agissent au doigt et à l’oeil de l’hypnotiseur, évoque forcément chez le chrétien l’idée de la possession par un esprit. L’objectif de cet article et de présenter les avancées de la science sur ce sujet et d’ouvrir une discussion sur l’attitude que nous devons avoir en tant que chrétien à l’égard de cette pratique.

 

L’hypnose,  pourquoi ? Pour qui ?

L’hypnose a historiquement deux grandes applications : la thérapie et le spectacle. D’un point de vue thérapeutique l’utilisation de cette technique a été très controversée, mais elle est largement reconnue aujourd’hui. Son application ne se limite plus à la psychothérapie, elle est également utilisée dans un cadre médical et paramédical. L’hypnose de spectacle est souvent la plus connue du grand public. Elle connait aujourd’hui encore une grande popularité grâce à des artistes comme Mesmer qui hypnotise en direct et sans trucage des personnes qui assistent à ses shows. Au-delà des applications, les mécanismes de l’hypnose sont un sujet de recherche florissant et d’un fort intérêt ; c’est cet aspect que nous traiterons dans la suite de cet article.

 

Un état de conscience modifié

Avant de parler d’état de conscience, il faut déconstruire l’idée intuitive selon laquelle notre expérience de la vie se fait toujours avec la même qualité de conscience. En effet, la perception que nous avons de notre environnement et de nous-même est produite par notre cerveau et en fonction de son activité, nous expérimentons les choses de telle ou de telle manière. C’est d’ailleurs le cas dans l’hypnose, l’activité cérébrale de la personne hypnotisée est modifiée et produit l’état de conscience particulier qu’on appelle hypnose.

L’imagerie cérébrale

Les techniques d’imageries médicales ont révolutionné les neurosciences, notamment parce qu’elles nous permettent de voir ce qui se passe dans notre cerveau de manière non invasive. Concernant l’hypnose, l’imagerie apporte beaucoup d’indices permettant de mieux comprendre ce qui se passe lorsqu’une personne est hypnotisée.

 

Lorsqu’on demande à une personne de penser à des événements autobiographiques (ex : se souvenir de ses vacances) et qu’on compare l’activité cérébrale de cette personne dans un état de « conscience normale » et sous hypnose, on observe que l’activité cérébrale n’est pas la même (1). Lorsqu’elle est hypnotisée, on note une activation de réseaux neuronaux dans différentes zones corticales (cortex visuel, moteur et sensoriel) et une activité significativement différente au niveau du cortex cingulaire antérieure.

 

Ces modifications de l’activité cérébrale et notamment du cortex cingulaire antérieur explique pourquoi les sujets sous hypnose peuvent ne pas ressentir la douleur. Comme le montre le schéma ci-dessous, les circuits des voies nociceptives afférentes (qui permettent de ressentir la douleur) s’activent différemment en état d’hypnose. On pourraient grossièrement résumer les choses en disant que sous hypnose le cerveau accentue le versant émotionnel et symbolique de l’expérience et diminue le versant somato-sensorielle (la douleur physique).

 

hypnose

 

 

Possession par un esprit ou mécanisme naturel ?

Hypnose2Ce qui interroge le plus le chrétien dans l’hypnose, c’est ce qui conduit la personne hypnotisée à faire tout ce que l’hypnotiseur lui demande de faire, comme si qu’elle avait déposé sa volonté entre les mains de ce dernier, ou pire comme si elle était possédée. Pour répondre à cette question il faut encore déconstruire l’idée que la conscience et la volonté seraient des facultés humaines inaltérables. Sommes-nous libres, conscients et volontaires ? Oui, sans aucune hésitation ! Sommes-nous libres, conscients et volontaires en toutes circonstances ? Non, sans aucune hésitation ! La brièveté de cet article ne me permet pas de m’étendre sur le phénomène de la conscience et la volonté, mais il est nécessaire de comprendre que ces facultés sont générées par des systèmes (5) minutieusement agencés reposant sur un substrat neuro-biologique. Pour éviter de rentrer dans le débat du substrat de l’âme nous pouvons, au-delà des divergences qui animent le débat entre dualistes et monistes, considérer que si le cerveau ne génère pas ces facultés, elles sont à minima tributaires de son activité*.

 

L’hypnose en est l’une des preuves les plus flagrantes. D’un point de vue neuropsychologique, le cortex pré-frontal dorso-latéral est largement impliqués dans l’exercice des fonctions exécutives** (fonctions impliquées dans l’élaboration et la réalisation d’un choix***). Il semblerait **** que les informations arrivants à ces aires cérébraux et leurs activités soient modifiés en état d’hypnose. La mise en évidence, par Antonio Damasio (3), du rôle des émotions dans le raisonnement et la prise de décisions nous permet de supposer que cette altération est en relation avec l’activité amplifiée du cortex cingulaire antérieur. D’autres études supposent que c’est l’implication du cortex cingulaire antérieur dans la production d’image mentale (l’imagination) qui expliquerait que le sujet réalise les suggestions de l’hypnotiseur.

 

Les données d’imagerie montrent clairement que l’activité du cerveau est modifiée, en particulier le cortex cingulaire antérieure qui est impliqué dans la génération d’image mentale, dans la transformation de nos sentiments en intentions puis en actions et dans le contrôle de soi sur ses émotions (reconnaissance de nos erreurs, promotion de réponses adaptatives en réponse à des conditions changeantes). Cependant, il nous faut encore patienter avant que la science parvienne à expliquer toutes les méandres de l’hypnose, car si nous avons clairement identifiés les zones cérébrales impliquées dans l’hypnose, l’interprétation des données restent encore à éclaircir. Quoi qu’il en soit il faut rompre avec un mythe ; les sujets hypnotisés ne sont pas inconscient et ne font pas inconditionnellement tout ce qu’on leur demande. Bien que leurs fonctions exécutives soient altérées, ils restent dans la plupart des cas, en capacité d’opposer un véto si ce qu’on leur suggère va à l’encontre de leur volonté profonde.

 

Est-ce si choquant ?

Que l’hypnose soit un phénomène naturel en opposition à un phénomène spirituel n’a rien de choquant ou d’inquiétant. De nombreuses études montrent par ailleurs qu’un grand nombre d’informations inconscientes peuvent influencer notre manière de percevoir le monde, d’élaborer des choix et de raisonner. Cependant, lorsque l’hypnotisé obéit « consciemment » aux suggestions de l’hypnotiseur sans pouvoir pleinement exercer sa volonté ou, plus précisément, sans être la source ultime de l’élaboration des choix et des actions qu’il accomplit, cela est à mettre en contraste avec un état normal dans lequel nous sommes dotés d’un ensemble de facultés qui nous permettent d’élaborer des choix, de les évaluer et donc d’en être responsable.

 

Un chrétien sous hypnose ?

Hypnose3Un chrétien peut-il avoir recours à l’hypnose ? D’après les éléments développés dans cet article l’hypnose n’est vraisemblablement pas une activité occulte ou démoniaque, cependant le « pouvoir » que l’hypnotisé remet entre les mains de l’hypnotiseur pose quelques questions éthiques. Dans un cadre médical ou thérapeutique l’hypnose peut effectivement se montrer efficace, toutefois cette pratique soulève plusieurs questions d’ordre spirituelles et bibliques sur lesquelles il est légitime de s’interroger.

 


 

Références

 

1. Maquet, P., M. E. Faymonville, et al. (1999). « Functional neuroanatomy of

hypnotic state. »

2. Hudson,A. J. (2000). « Pain perception and response: central nervous system

mechanisms. »

3. Faymonville, M.E., et al., Neural Mechanisms of Antinociceptive Effects of Hypnosis.Anesthesiology, 2000. 92(5): p. 1257-1267.

4. A. Damasio. L’erreur de Descartes (1995)

5. Shallice & Burger ; 1991; 1998

 

* Les données scientifiques abondent et ne permettent plus de douter du rôle centrale du cerveau dans l’expression des facultés qu’on attribue à l’âme.

** Ce sujet fait l’objet de nombreuses recherches actuellement

*** Opérations cognitives que l’on va mettre en jeu pour atteindre un but lors d’une situation nouvelle

**** Là encore la brièveté de l’article ne permet pas de m’étendre sur le débat existant entre compatibiliste, libertarien et déterministe, mais l’idée que l’homme soit un être libre de ses choix est défendable et logique.

A propos de l’auteur :

 

Après une licence en psychologie à l’université Paris X, Joel Montbrun effectue un master avec une spécialisation en neuro-psychologie.

 


 

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