Denis Lamoureux, auteur de Evolutionary Creation

Introduction du traducteur (Benoit Hébert)

 

Dans le dernier article publié à propos du déluge, Pete Enns soulignait que ce n’est pas parce qu’on remet en question l’historicité d’événements tels qu’ils nous sont racontés dans Genèse 1-11 (l’origine des langues au pied de la tour de Babel, le déluge universel, la création du firmament…) que l’on remet en cause l’historicité de toute la Bible ou du caractère surnaturel de  miracles comme la naissance virginale du Christ ou sa résurrection. Je peux comprendre que pour certains croyants, la Bible fasse « un tout ». Ils ne comprennent pas ce qui nous donne le droit de traiter différemment les 11 premiers chapitres de la Genèse du reste de la Bible. Grâce aux progrès scientifiques, archéologiques et bibliques, nous comprenons de mieux en mieux le genre littéraire unique et très complexe de Genèse 1-11. Pour beaucoup de théologiens, l’histoire telle que nous la concevons aujourd’hui commence véritablement avec Abraham, et plus on progresse dans la chronologie des livres de la Bible, plus les récits répondent à des critères « modernes » d’historicité, par exemple les évangiles ou les actes. Voici (encore) un extrait de Evolutionary Creation de Denis Lamoureux. Il y développe un concept qui m’a beaucoup aidé à comprendre comment ne pas tomber dans le « relativisme herméneutique » ou une interprétation libérale des Ecritures.

 

Le domaine de compétence cognitive.

 

« Les auteurs bibliques voyaient le monde physique et y réfléchissaient d’une façon différente de nous aujourd’hui. Les hommes et les femmes de toutes les générations ont observé la nature au travers d’un « univers » cognitif, et l’ont compris au travers de leurs capacités intellectuelles. L’histoire nous révèle que la compétence dans la compréhension du cosmos s’est accrue avec le temps. Dit d’une autre façon, cette métaphore visuelle nous montre que la connaissance scientifique a des limitations. Son champ de vision intellectuel est limité par les instruments et les techniques de la science, et il est conditionné à l’intelligence, l’imagination et l’éducation des hommes de différentes cultures et moments de l’histoire. Grâce aux télescopes et aux microscopes, et en nous « tenant sur les épaules des géants de la science » qui nous ont précédé, nous profitons d’un « paysage » ou domaine de compétence cognitive plus large que les auteurs bibliques. Ils n’avaient pas la compétence pour connaître la structure du ciel, la taille d’un grain de moutarde en comparaison avec d’autres graines, ou bien l’anatomie ou la physiologie de la reproduction humaine. Il faut souligner qu’en reconnaissant ce fait, nous ne manquons pas de respect envers les générations qui nous ont précédées, parce que si nous avions vécu à la même époque, nous aurions partagés les mêmes connaissances scientifiques qu’eux.

Pourtant, certains chrétiens craignent que de concéder que la Bible a été écrite dans une science ancienne,  cela les placera sur une « pente savonneuse » qui les conduira à une interprétation libérale des Ecritures, et leur fera même perdre la foi. Dit grossièrement, l’argument est le suivant : si les affirmations de la Bible à propos de la nature ne sont pas scientifiquement, historiquement et littéralement exactes, alors les miracles et la résurrection de Jésus ne le sont pas non plus. C’est une préoccupation légitime. Pourtant, le domaine de compétence cognitive agit comme des « freins herméneutiques » sur cette pente fatale. Comme nous l’avons fait remarquer, les individus vivant au premier siècle étaient certainement capables de voir que de l’eau s’était changée en vin ou pas, qu’un paralytique s’était levé et avait marché, qu’un aveugle né pouvait à présent voir.  Pour une génération qui avait connu beaucoup de crucifixions, il était tout à fait dans leur compétence cognitive de savoir qu’un homme : Jésus avait été crucifié et qu’il était ressuscité. Sans aucun doute, être compétent afin de saisir de tels faits est beaucoup plus important pour la foi chrétienne que des faits de nature scientifique à propos de la structure, du fonctionnement et de l’origine du monde.

L’interprétation des passages bibliques faisant référence à la nature exige la reconstitution de l’ancienne façon de voir le monde physique. Il faut donc que les chrétiens les lisent comme si les télescopes et les microscopes n’existaient pas. Ceci conduit à une appréciation de la perspective phénoménologique ancienne. En particulier, voir les récits de la création au travers des conceptions scientifiques étroites des auteurs inspirés permet de comprendre certains passages bizarres. Par exemple, dans Genèse 1, la séparation des eaux d’en haut des eaux en bas par le firmament ou l’apparition des animaux terrestres de la terre sont des applications parfaitement rationnelles d’actions créatrices de novo (instantanées et complètes) d’un univers en trois parties et de la reproduction à partir d’une semence (celle du mâle) respectivement. Mais plus significativement encore, reconnaître que les récits bibliques de la création reflètent un « paysage » ou domaine ancien de compétence cognitive nous montre que leur but n’est pas de nous révéler comment Dieu a créé le monde ou comment les hommes sont apparus sur la terre. »