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Le théisme ouvert


Origine et définition

Le théisme traditionnel [1] tend à articuler la pensée chrétienne dans les catégories de la philosophie grecque. Il discours sur Dieu dans les termes de la philosophie classique sur l’être.

Justin, l’apologiste, fut l’un des premiers chrétiens à défendre le christianisme dans les termes de la philosophie et d’élever le christianisme comme étant la vrai philosophie.

La Bible n’associe-elle pas Dieu à l’être-même ? Dans le passage « je suis celui qui suis» (Ex 3.14), YHVH se révèle comme l’être premier et éternel. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour que la théologie emprunte à la philosophie grecque certains attributs divins contestés aujourd’hui (impassibilité, immuabilité, omniscience, etc.). Autre exemple: le concept de perfection. La Bible dit que Dieu est parfait (Cf. Mt 5.48 : « Soyez donc parfait comme votre Père céleste est parfait »). Or le théisme traditionnel a parfois transposé cette notion dans les catégories de perfection de la philosophie grecque, qui la comprend comme « un état maximum ».

Dans le théisme traditionnel, cela impliquerait-il que Dieu soit immuable et intemporel (Dieu ne change pas dans ses décisions et ses actions en fonction du temps ou du libre-arbitre humains), et impassible (Dieu ne fluctue pas non plus dans ses émotions) ?

L’idée de perfection

L’idée générale de perfection qui équivaut à cet état maximum de l’être [2] a été adoptée notamment par Augustin.  Dieu étant parfaitement complet et en plénitude, il est par conséquent cantonné au maximum de l’être, cela implique logiquement qu’il soit intemporel et statique; il ne peut ni changer, ni souffrir, ni s’adapter à sa création, ni prendre de risque. Il est au-dessus du temps (intemporel), omniscient (il sait tout, le passé le présent et le futur) et omnipotent (il peut tout dans ce qu’il choisit de faire), il est Amour, etc.  Depuis 40 ans, le théologien J. Moltmann a remis en question cet a priori grec sur la pensée chrétienne notamment avec son livre Le Dieu crucifié [3].

Chez les évangéliques, ce sont les réformés calvinistes conservateurs qui défendent le théisme traditionnel augustino-calviniste.  Cette perspective accentue la  Souveraineté divine et minimise toute forme de contingence et de liberté (au sens libertarien) qui nécessairement auto-limite la toute-puissance divine (théisme arminien). Le théisme calviniste conserve l’idée de perfection au sens grec non seulement pour Dieu mais aussi pour Adam qui est placé dans un état de « surhumanité primordiale » [4]. J’ai eu l’occasion de montrer ailleurs qu’Augustin a dépeint Adam comme un être « parfait » au sens d’un être « au maximum » de ses possibilités i.e. en plénitude en lui-même et avec Dieu, sans souffrance, ni troubles, ni manques.

Dans cette position surélevée et statique, Adam ne pouvait que « chuter »[5] dans un degré d’être moindre. Saisir cette idée, c’est comprendre le virus caché qui s’est glissé dans la théologie chrétienne, à commencer par la doctrine du péché originel, appelé également « péché de nature ». La notion de péché originel dans la perspective augustino-calvinisme est très facile à comprendre lorsque replacé dans les catégories néo-platoniciennes des degrés de l’être [6] qui ont servi à son élaboration conceptuelles. Après avoir été créé parfait, Adam ne peut que chuter ou demeurer stable. Après sa désobéissance l’humanité tombe d’un état « maximum d’être » dans un état moindre, qui correspond à un état de déficience, dans lequel il ne peut que faillir et décliner vers le néant de l’être[7].

Le théisme évangélique traditionnel repose sur cet a priori que Dieu est parfait au sens grec et a créé un Adam parfait au sens grec. Nous avons déjà expliqué que cette vision idyllique et statique de l’homme au jardin  d’Éden était non seulement irrecevable d’un point de vue scientifique, mais également d’un point de vue biblique[8]. Voyons comment s’articule l’omniscience et l’omnipotence divine dans le théisme traditionnel. La réponse donnée est solide, mais heurte de plein fouet l’amour de Dieu et le libre-arbitre humain.

Dieu et le futur

Dès l’origine du monde, Dieu connaît le futur parce qu’il est déterminé. L’omniscience et omnipotence sont liées, mais on ne sait plus très bien laquelle est déterminée par l’autre [9]. Comme l’auteur d’une pièce de théâtre, Dieu attribue à chacun un rôle, place l’intrigue, boucle le scénario. Ainsi il demeure pleinement omniscient et omnipotent. Il sait tout puisqu’il le prescrit librement et immuablement dans l’éternité [10]. Pour employer un terme américain, il « micro-manage » la création, ne laissant rien au hasard. Dans sa Souveraineté (qui est totale), tout est prévu par lui, et ce depuis avant le début de la création.  Il demeure ainsi immuable (il ne change pas ses plans à cause de nos prières… puisqu’il savait depuis le début que nous les demanderions…) et impassible, i.e. il n’est pas troublé par aucune circonstance, n’étant jamais surpris, encore moins affecté, par ce que font les humains.

Dans cette perspective, le libre-arbitre humain n’existe pas, ni aucune contingence, tout événement étant décrété par Dieu [11]. Même le premier péché fut permis/décrété par Dieu [12]. Dieu a ainsi voulu la « chute » du premier homme et le salut des « élus/prédestinés [13] ». Il est vrai que plusieurs passages de la Bible semblent aller dans ce sens[14]. Dieu connaît chaque jour qui nous est alloué [15]. Il prévoit les événements longtemps d’avance, comme les prophéties messianiques [16].

Mais il semble que nous glissons indéniablement dans une forme de déterminisme théologique. Le partisan du théisme ouvert croit que le problème est au niveau de l’interprétation de ces passages, mais je n’ai encore lu aucune interprétation convaincante.  Ceux qui luttent avec ce premier modèle adhéreront probablement mieux au prochain modèle : le théisme du « libre-arbitre », le modèle le plus solide bibliquement et philosophiquement, même s’il semble comporter quelques failles que cherche à adresser le théisme ouvert


[1] L’expression en son sens large se comprend comme les catégories  philosophiques grecques concernant la notion de Dieu reprises dans les conceptualisations philosophiques chrétiennes.

[3] Il développe dans ce livre la notion de « souffrance de Dieu ».

[5] Paul Ricœur a une formule intéressante : « ne tombe que ce qui a été d’abord élevé » dans La Symbolique du Mal, livre 2, Aubier Montaigne, 1960, p. 219

[7] Pour bien comprendre la pensée d’Augustin, il faut saisir la philosophie néo-platonicienne des degrés d’être qui la soutient.

[9] Est-ce l’omniscience qui est première et qui détermine la toute-puissance ou l’inverse?

[10] Voir Romains 9. 14-24 qui est souvent cité à procès. Aussi Ps 33.11

[11] Dans un de mes manuels de théologie (un peu vieux, mais représentatifs), on lit : «  Autrement dit, avec une puissance et une sagesse infinies, Dieu a, de toute éternité, décidé, choisi et déterminé le cours de tous les événements sans exception pour toute l’éternité à venir » (H.C. Thiessens, 1987, Esquisse de théologie biblique, p. 116)

[12] C’est la position d’Henri Blocher et de tout bon Réformé qui se respecte. Bien que pour Blocher la chute d’Adam soit un mystère opaque, il admet que cette désobéissance n’a pu échapper à la souveraineté divine et qu’ultimement elle fut voulue par Dieu.

[13] Jean 15.16; Rom 9.20;

[14] Ac 1.7; Ac 13.48; Ép 1.4

[15] Ps 139. 4, 16

[16] Pensons à Esaïe 7.14; Michée 5.2; Ps 22.16-18;

[17] Ge 4. 7; Pr 1.23; És 31.6; Ac 3.19; Rom 2.14;


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