Article 31 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


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Dans ce billet, nous examinerons les origines des oiseaux, que l’on considère comme les “formes de transition” les plus célèbres et les plus anciennement connues, le groupe souche de l’oiseau Archaeopteryx, et étudierons les découvertes plus récentes qui ont éclairé un mystère vieux d’un siècle.

En guise de brève récapitulation, rappelons que dans les derniers billets de cette série, nous avons retracé les origines des vertébrés ainsi que leurs diversifications en partant de leurs origines (pré) cambriennes, en passant par les poissons sans puis avec mâchoire, et en allant jusqu’aux origines et aux diversifications des groupes souche tétrapodes dans le dévonien tardif.

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A partir de cette origine de type amphibien, les groupes couronne tétrapodes ont continué à se diversifier et à acquérir de nouvelles caractéristiques que nous ne mentionnerons que brièvement, comme la transition clé à la ponte des oeufs sur la terre avec une membrane séparant l’œuf de son environnement terrestre (un œuf amniotique), et la diversification ultérieure des amniotes en reptiles, oiseaux, et mammifères (et en un certain nombre d’autres lignages éteints qu’on ne connaît que par les données fossiles).

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Archaeopteryx lithographica, un groupe souche oiseau qui montre des caractères transitionnels entre les théropodes non-aviens et le groupe couronne des oiseaux. [source:Wikimedia Commons]

 

A tire d’ailes

A cause de toute cette diversité tétrapode, nous ne pouvons qu’ explorer quelques points d’un intérêt tout particulier en cours de route ; des transitions qui nous permettront aussi d’illustrer d’autres caractères de l’évolution que nous n’avons pas encore vu en détail.

L’origine des oiseaux est une transition qui a longtemps fasciné les scientifiques, avec leurs adaptations étonnantes des plumes et du vol actif. Ces adaptations placent les oiseaux modernes à une distance lointaine d’autres tétrapodes d’aujourd’hui, un fait qui posait problème à Darwin. Quelques années seulement après la publication de Sur l’origine des espèces, cependant, un groupe souche oiseau stupéfiant a été découvert en Allemagne : l’Archaeopteryx lithographica.

Même à un observateur amateur, l’Archaeopteryx manifeste un mélange de caractéristiques « reptiliennes » et « aviennes ». Comme les reptiles, l’Archaeopteryx possède une longue queue osseuse, des dents, et des membres supérieurs avec des griffes au bout des doigts ; mais il combine ces caractères avec un trait qui n’avait été considéré jusque là que comme la marque caractéristique des oiseaux seuls : des ailes à plume. Pour Darwin, l’Archaeopteryx a été un soutien pour sa théorie en même temps qu’un rappel de la pauvreté des données fossiles. Il exprime ces pensées dans une lettre à un collègue en 1863 :

“Le fossile oiseau avec la longue queue et les doigts au bout de ses ailes (j’ai entendu de Falconer qu’Owen n’a pas bien fait son travail) est de loin le plus grand prodige des temps récents. C’est un grand cas pour moi, comme le groupe d’oiseaux était le plus isolé qui soit ; et il montre à quel point nous savons peu ce qui vivait auparavant. »

Plus tard, il inclurait une discussion sur l’Archaeopteryx dans une édition révisée des Origines, ainsi qu’une note indiquant qu’il avait des « affinités » avec un dinosaure théropode alors connu, le Compsognathus :

Examinons les affinités mutuelles d’espèces éteintes et en vie. Elles se retrouvent toutes dans quelques grandes classes ; et l’on peut expliquer ce fait par le principe de descendance. C’est une règle générale que plus une forme de vie est ancienne, plus elle est différente de celles qui sont en vie. Mais, comme Buckland l’a remarqué il y a longtemps, toutes les espèces éteintes peuvent être classées soit dans des groupes qui existent encore, soit entre eux. On ne peut contredire que les formes de vie éteintes permettent de remplir les intervalles entre des genres, des familles, des ordres existants. Car si nous confinons notre attention exclusivement sur les espèces éteintes ou en vie, la série est bien moins parfaite que si nous combinons les deux en un système général. En ce qui concerne les vertébrés, des pages entières pourraient être couvertes d’illustrations d’Owen, montrant comment les animaux éteints se trouvent entre des groupes existants… Un autre paléontologue distingué, M. Gaudry, montre que de nombreux fossiles de mammifères qu’il a découverts dans l’Attique sont très clairement liés à des genres existants. Le Professeur Huxley a même montré que le large intervalle entre les oiseaux et les reptiles est partiellement comblé d’une manière tout à fait inattendue, d’une part par l’autruche Archeopteryx, éteinte, et d’autre part par le Compsognathus, un des dinosaures, ce groupe qui inclut les plus gigantesques de tous les reptiles terrestres.

Même à l’époque de Darwin, donc, on soutenait via les différents éléments de preuve l’hypothèse selon laquelle l’Archaeopteryx est une forme de transition, au sens auquel nous l’avons entendu jusqu’ici, c’est-à-dire comme groupe souche sur le lignage qui a conduit aux oiseaux modernes, avec cette souche enracinée chez les dinosaures théropodes.

Théropodes à plume

Malgré la découverte précoce de l’Archaeopteryx, d’autres espèces fossiles qui « comblent l’intervalle » entre le groupe-couronne des oiseaux et les théropodes éteints n’ont été découvertes que plus de cent ans plus tard. Au milieu des années 1990, cependant, une première découverte, suivie de nombreuses autres qui seront significatives, a été faite dans des dépôts de la formation Jehol en Chine : il s’agit d’un dinosaure théropode, à plumes et non-avien, appelé Sinosauropteryx prima. Ce fossile était remarquable non seulement parce qu’il portait des plumes et était lié au Compsognathus, mais aussi à cause de la nature de ses plumes : ce théropode ne possédait que des « proto-plumes » relativement simples, des filaments symétriques qui pouvaient servir de protection. Il semble que le Sinosauropteryx se soit séparé du lignage avien à un moment où les plumes n’étaient pas encore asymétriques, ni adaptées au vol.

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Interprétation d’un artiste du Sinosauropteryx prima, un théropode non-avien avec des plumes primitives et en filaments. La couleur des dinosaures à plume peut être inférée à partir de la forme des cellules (mélanosomes) responsables de la pigmentation des plumes. [source : Wikimedia Commons]

 

Peu après la découverte du Sinosauropteryx, une autre « forme de transition », c’est-à-dire le groupe souche sur le lignage avien possédant des caractéristiques transitionnelles, a été découverte en Chine et révélait une progression dans l’évolution de la plume vers les plumes que l’on trouve aujourd’hui chez les oiseaux. Le Sinornithosaurus est non seulement un théropode non-avien à plumes, mais ses plumes sont en plus asymétriques et touffues, ce qui jusque là n’avait été observé que chez les oiseaux :

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Exemples de plumes que l’on observe dans les données fossiles : (a) simple filament, (b) touffue, (c) symétrique et (d) asymétrique (pour le vol). Tous les types connus de plumes ne sont pas montrés ici.

Ces découvertes (ainsi que nombreuses autres : les dinosaures à plume ne semblent même plus remplir la presse populaire, puisqu’ils sont devenus si courants) « remplissent les blancs » entre les théropodes non-aviens et les oiseaux, jusqu’à ce que la frontière devienne si ténue qu’il y a des débats sur certaines découvertes pour savoir si ce sont celles de « véritables oiseaux » ou celles de simples proches non-aviens.

L’utilité d’une « aile partiellement formée »

Donc malgré les décennies de débats provoqués par les anti-évolutionnistes qui arguaient qu’il ne pouvait exister de formes intermédiaires qui conduisaient aux oiseaux, nous voyons aujourd’hui un groupe d’espèces fossiles qui répondent aux critères et démontrent qu’en effet, il y avait une utilité pour des « ailes et plumes partiellement formées ». Longtemps avant que les oiseaux volent, les plumes étaient un caractère courant de dinosaures terrestres qui ne volaient pas, avec un plan d’organisation similaire à celui des oiseaux. En effet, à cette époque et à ce moment de la préhistoire, le plan d’organisation du « théropode à plume, non-avien » (et plus tard, du « théropode à plume quasi-avien ») semble avoir eu du succès, comme le montre le nombre d’espèces que l’on observe dans les données fossiles qui correspondent à cette description générale. Les plumes et les ailes sont ainsi des exemples d’exaptation ; il s’agit d’une nouvelle fonction accomplie par une même partie, sous la pression de l’évolution. Les plumes étaient sélectionnées à l’origine pour une fonction qui n’incluait pas le vol (la protection par exemple), et plus tard ont été récupérées pour une autre fonction (le vol). De même, l’aile est un membre supérieur tétrapode qui a changé de fonction, c’est-à-dire qui a été exapté. Si Darwin avait vécu suffisamment longtemps pour voir cette découverte, il aurait sans aucun doute considéré les théropodes à plume comme un autre « grand cas » pour sa théorie.

Dans le prochain billet de cette série, nous reviendrons au lignage tétrapode qui conduit à notre propre espèce, celle des mammifères.

 

 


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