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La géographie cosmologique mésopotamienne dans la Bible


Voici la deuxième des six parties de la série basée sur la publication académique de Brian Godawa « Géographie cosmique mésopotamienne dans la Bible », article original consultable ici.

Traduction française: Jonathan B.

Dans la partie 1, Brian nous révélait comment son étude de la culture hébraïque antique avait bouleversé sa conception d’une « lecture littérale » de l’écriture. Il évoque aujourd’hui le sujet de l’affaire Galilée et l’impact qu’elle a eu sur cette conception.

 

Une autre chose harcelait également mon esprit jusqu’à la hantise : l’affaire Galilée. Il fut un temps (le 17ème siècle) où les brillants théologiens chrétiens et les scientifiques que je tiens en haute estime considéraient que la nouvelle théorie héliocentrique était contradictoire avec les enseignements bibliques. Ils pensaient que la Bible ne pouvait pas avoir tort sur l’organisation de l’univers et conserver son statut de Parole de Dieu faisant autorité. Ils affirmaient que la Bible enseigne clairement et sans ambiguïté que la terre ne se déplace pas (Psa. 93 :1 ; 104 :5)¹ et que le soleil tourne autour de la terre (Jos. 10 :13 ; Eccl. 1 :5). Ils étaient des hommes brillants, pas du tout les anti-scientifiques ignorants et bigots tels qu’ils sont habituellement représentés par les critiques voulant apporter de l’eau à leur moulin. Ils ont finalement accepté la théorie, à mesure que les preuves venaient l’appuyer. Mais le fait est qu’ils ont fait la découverte d’un principe ayant d’immenses conséquences sur les méthodes d’interprétation de la Bible (l’herméneutique) – La science peut parfois corriger la façon dont nous interprétons la Bible.

 

Voilà, c’est dit. Une déclaration qui me vaudrait les foudres de certains Évangéliques dont le réflexe immédiat serait de m’accuser d’être « libéral » et de ne pas croire en la Bible. Mais historiquement, le fait est que la science a corrigé cette même tradition Évangélique d’interprétation de la Bible. J’ai moi aussi détesté devoir l’admettre, car je crois que la Bible est mon autorité absolue pour ce qui est de la vérité de Dieu ; donc si la science peut corriger la Bible, ne deviendrait-elle pas alors logiquement une autorité supérieure à la Bible ? Uniquement si vous considérez que votre interprétation de la Bible correspond avec exactitude à ce que Dieu a voulu communiquer. Mais notre interprétation de l’intention de Dieu n’est pas toujours la même que l’intention divine réelle. Reconsidérer notre compréhension de la signification de la Parole de Dieu ne jette aucun discrédit sur la Parole de Dieu elle-même ; c’est plutôt notre interprétation de la Parole de Dieu qui se révèle être fausse lorsque qu’elle met en lumière le fait que nous puissions attendre des Écritures une chose qu’elle ne nous offre pas.

 

Les implications de ce principe m’ont contraint à réévaluer ma propre compréhension des questions relatives à la science et à la cosmographie dans la Bible. En raison de mes inclinaisons personnelles issues de ma culture scientifique occidentale moderne, je pouvais facilement considérer un passage comme étant littéral alors que son intention était purement figuratif ; par exemple : les étoiles tombant des cieux ou le soleil et la lune ne donnant plus leur lumière (Ésa. 13:10; Ézek. 32:7; Matt. 24:29)2. Mais j’ai également pris conscience d’un fait tout aussi important : mes inclinaisons de scientifique occidental pouvaient aussi m’amener à interpréter un élément comme étant figuratif alors que sa signification était littérale ! Lorsque l’écriture mentionne les « écluses des cieux » pour faire référence à la pluie (Gen. 7:11), quand je lis que la terre est placée sur des « colonnes » (Psa. 75:3), et lorsque je lis que le séjour des morts est « situé sous la terre » (Deut. 32.22), je pense immédiatement à des métaphores poétiques, puisque la science moderne a démontré que ces éléments n’existent pas « littéralement ». Mais les Israélites de l’antiquité n’avaient pas connaissance des faits scientifiques qui sont dorénavant à notre portée. Que leur évoquaient donc ces images ?

 

À mesure que j’entamais une étude biblique intense sur ces sujets, j’en appris davantage sur le contexte de la culture littéraire d’Israël et celle de ses voisins. J’ai découvert que lorsque la Bible faisait référence à la géographie cosmique, elle le faisait en utilisant un langage similaire à celui des cultures avoisinantes du Proche-Orient de l’antiquité. Les croyants du monde actuel font usage du langage de la Relativité, même dans les discours n’ayant pas trait à la science : Einstein a modifié notre conception de l’univers. Les croyants ayant vécu avant le 17ème siècle utilisaient un langage géocentriste puisqu’ils étaient eux-aussi les enfants de leur temps. Cela ne devrait surprendre personne que les croyants de l’Israël antique aient fait usage du langage de la cosmographie de Proche-Orient antique, la conception qui leur était familière et par laquelle ils appréhendaient le monde qui les entoure.3

 

En ce qui concerne ces littératures parallèles du Proche-Orient antique, les critiques académiques ont tendance à mettre en avant les similitudes et à minimiser les différences afin de construire une théorie de l’évolution sécularisée de la transformation de la religion d’Israël (de religion polythéiste en religion monothéiste, par le biais du plagiarisme4). En d’autres termes, les critiques académiques sont anthropocentristes, ou centrées sur l’homme. De leur côté, les chercheurs croyants ont tendance à mettre l’accent sur les différences et à minimiser les similitudes afin de prouver le caractère absolument distinct de la religion Israélite5. En d’autres termes, les chercheurs croyants sont théocentristes, ou centrés sur Dieu. Et ainsi, l’herméneutique des deux groupes se fourvoie dans des opposés extrêmes.

 

La doctrine orthodoxe de l’Inspiration des Écritures déclare que la Bible est pleinement inspirée de Dieu (2Tim. 3:16). Des hommes ont écrit sous l’inspiration et l’influence mystérieuse du Saint-Esprit (2Pie. 1 :20-21). Même les Évangéliques défendant l’inerrance des écritures admettent que la part humaine implique une certaine soumission aux conventions culturelles et littéraires de l’époque. La Déclaration de Chicago de l’inerrance biblique (1978) résume la position de la façon suivante : « Nous affirmons que le canon des Écritures doit toujours être interprété sur la base de son infaillibilité et de son inerrance. Toutefois, afin de déterminer ce que l’auteur inspiré par Dieu affirme dans chaque passage, nous devons apporter une attention toute particulière au fait que sa rédaction est le fruit d’un travail purement humain. Au cours de l’inspiration, Dieu utilise les conventions culturelles de l’environnement du rédacteur » (emphase ajoutée).

 

En étudiant la Bible tout en tenant compte de son environnement culturel et des conventions humaines, je ne pouvais plus ignorer le fait qu’elle contenait une cosmographie différente de notre cosmographie occidentale moderne post-lumières. Les preuves devenaient si insurmontables que j’ai dû modifier mes positions théologiques afin qu’elles restent en accord avec la Bible plutôt que de réinterpréter la Bible pour qu’elle corresponde à mon système théologique. Cette cosmographie antique faisait l’affaire à son époque, mais ce n’est plus le cas de nos jours (tout comme notre cosmographie actuelle deviendra un jour ou l’autre caduque). Ce qu’ils acceptaient comme réalité littérale nous le considérons maintenant comme métaphorique. Je ne crois pas que cela mette en danger la doctrine selon laquelle la Bible est la Parole de Dieu, ou que cela réduise cette Parole en production humaine, en revanche, je pense que cela fragilise nos interprétations et traditions humaines de ce que la Parole de Dieu entend nous communiquer. Quoi qu’il en soit, mon prochain billet sera dédié à l’examen plus attentif de de ce que j’ai découvert.

Notes

1. Dans le Commentaire du Livre des Psaumes de Jean Calvin, Psaume 93:1, Psaume 104:5-6, il affirme que le géocentrisme est présent dans les écritures. Voir “Calvin and the Astronomical Revolution” Matthew F. Dowd, Université de Notre Dame.

2. N. T. Wright, Jesus and the Victory of God (Minneapolis: Fortress, 1996), p. 320-367. Pour davantage d’exemples de ce type d’hyperboles dans la Bible, voir Jérémie 4:23-30; Amos 8:9; Ésaïe 24:1-23; 40:3-5; Nahum 1:4-6. À propos de la nature de cette imagerie apocalyptique et de ce type de symbolisme dans la Bible, consultez l’excellent ouvrage Last Days Madness, de Gary DeMar, Powder Springs, GA: American Vision, 1999.

3. L’ouvrage qui a commencé à m’ouvrir les yeux sur cette cosmographie Mésopotamienne dans la Bible a été Evolutionary Creation: A Christian Approach to Evolution de Denis O. Lamoureux, Eugene; OR, Wipf & Stock, 2008. Ce présent article doit beaucoup aux recherches de Mr Lamoureux dans le domaine de la science antique dans la Bible.

4. Un auteur soutenant cette position est Mark S. Smith, The Origins of Biblical Monotheism: Israel’s Polytheistic Background and the Ugaritic Texts; Oxford: Oxford University, 2003.

5. Un auteur soutenant cette position est Gleason L. Archer, A Survey of Old Testament Introduction; Chicago, Il: Moody Press, 2007.

Références bibliques :

Psaume 93:1 (LSG) L’Éternel règne, il est revêtu de majesté, L’Éternel est revêtu, il est ceint de force. Aussi le monde est ferme, il ne chancelle pas.

Psaume 104:5 (LSG) Il a établi la terre sur ses fondements, Elle ne sera jamais ébranlée.

Josué 10:13 (LSG) Et le soleil s’arrêta, et la lune suspendit sa course, Jusqu’à ce que la nation eût tiré vengeance de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste? Le soleil s’arrêta au milieu du ciel, Et ne se hâta point de se coucher, presque tout un jour.

Ecclésiaste 1:5 (LSG) Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau.

Ésaïe 13:10 (LSG) Car les étoiles des cieux et leurs astres Ne feront plus briller leur lumière, Le soleil s’obscurcira dès son lever, Et la lune ne fera plus luire sa clarté.

Ézéchiel 32:7 (LSG) Quand je t’éteindrai, je voilerai les cieux Et j’obscurcirai leurs étoiles, Je couvrirai le soleil de nuages, Et la lune ne donnera plus sa lumière.

Matthieu 24:29 (LSG) Aussitôt après ces jours de détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.

Genèse 7:11 (LSG) L’an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s’ouvrirent.

Psaume 75:3-4 (LSG) Au temps que j’aurai fixé, Je jugerai avec droiture. La terre tremble avec tous ceux qui l’habitent: Moi, j’affermis ses colonnes.

Deutéronome 32:22 (LSG) Car le feu de ma colère s’est allumé, Et il brûlera jusqu’au fond du séjour des morts; Il dévorera la terre et ses produits, Il embrasera les fondements des montagnes.

2 Timothée 3:16 (LSG) Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice,

2 Pierre 1:20-21 (LSG) (…) sachant tout d’abord vous-mêmes qu’aucune prophétie de l’Écriture ne peut être un objet d’interprétation particulière, car ce n’est pas par une volonté d’homme qu’une prophétie a jamais été apportée, mais c’est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu.


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