Article 2 sur un total de 5 pour la série :

La doctrine du péché originel peut-elle s'écrouler ?


Partie 2 : Un paradis terrestre ?

Si vous faites une relecture attentive du second récit fondateur (Ge 2-3) de la Genèse dans son contexte historique et littéraire, vous pourrez probablement discerner que l’intention de l’auteur n’était pas de présenter une création idyllique à la manière d’un paradis terrestre, sans adversité, ni souffrance, ou encore de dépeindre une humanité sainte et achevée dès le départ.

L’exégète évangélique Mathieu Richelle a montré qu’en replaçant le jardin de Ge 2 dans son contexte d’origine, on voitque l’auteur biblique adopte des motifs et trames narratives connues des lecteurs du POA (Proche Orient Ancien), bien qu’il les adapte dans une nouvelle perspective inspirée par le Saint-Esprit. Le jardin d’Éden peut se comprendre alors comme un lieu sacré, le prototype d’un temple (note 1), le prototype idéal de tous les sanctuaires. En effet, en Mésopotamie les temples étaient la résidence des dieux. Ils s’y manifestaient périodiquement. Les temples étaient comme une résidence secondaire lorsqu’ils quittaient le monde céleste. Ils étaient souvent pourvus de jardins. Présenter le jardin comme un prototype de sanctuaire est vraisemblable ici. Dieu fait du monde son sanctuaire en plantant des arbres.

eXploration_TheologiqueIl est très significatif que le narrateur de Ge 2 situe, à l’origine de l’homme, un jardin planté par Dieu lui-même. L’arbre plonge ses racines dans le sol et s’élève dans le ciel. Il porte du fruit. Il est un symbole important pour l’homme, un symbole fort éloquent de sa propre existence. Comme l’arbre, l’humain peut s’enraciner et s’affermir.

Des exégètes juifs ont souligné de plus que le jardin rappel la bénédiction de la sédentarisation voulu par Dieu pour Israël. À l’opposé, l’exil est un état maudit, conséquence de la désobéissance. Le narrateur enseigne que Dieu veut pour son peuple une vie stable, ordonnée et sécuritaire, en relation avec Dieu. L’idée du jardin planté par Dieu dans lequel il se promène représente tout cela et bien plus. Malheureusement, en spéculant et en historicisant ce récit de manière à y voir un jardin des délices, l’intention originale de l’auteur a été complètement déformée.

 

Pour étayer cette idée, nous invitons les lecteurs à porter leur attention sur plusieurs détails du récit de Genèse 2-3 qui témoignent d’un état originaire beaucoup plus réaliste. Ge 2-3, on le sait, présente une perspective anthropocentrique de la création (c’est-à-dire que le narrateur décrit la création du point de vue humain) alors que Ge 1 est écrit selon une perspective théocentrique (le narrateur est comme à coté de Dieu). Contrairement au premier récit de Ge 1, Ge 2-3 dépeint une création qui comporte son lot d’incertitude et de danger. Remarquez par exemple :

  • Les eaux : Dans le second récit, ils jaillissent de la terre et apparaissent hors de contrôle pour l’homme (2.6). Le contraste est frappant avec Ge 1 où Dieu sépare les eaux et leur assigne sa place.
  • L’humanité : Dans le premier récit, l’humanité est créé achevé (homme et femme) tandis que dans le second récit ils doivent se découvrir. L’homme est seul et souffre de cette solitude. Il cherche et enfin, grâce à Dieu, découvre en Ève sa complice, son vis-à-vis
  • L’humilité de cette humanité : Dans le second récit de création de l’humain, l’accent est mis  sur les origines humble qui caractérise l’humanité. Il est fait de terre, donc fragile (2.7)
  • L’intendance à exercer: L’humanité comme « image » du créateur est appelé à exercer sa domination (pas au sens d’exploitation) sur des créatures hostiles. Déjà dans le premier chapitre on avait vu que Dieu avait créé « les reptiles du sol » (1.24-26), et qu’il voulait que l’homme domine sur eux. On voit dans le second récit que cela n’était pas un état de fait, mais un état à réaliser. La mission d’’intendance était loin d’être réalisée à l’avance, comme on le verra au chapitre 3
  • L’arbre de la connaissance : Il peut apparaître surprenant que Dieu place au milieu du jardin un arbre ayant le potentiel de donner la mort. La possibilité de mort pour l’homme, le danger, l’incertitude, etc. sont donc des réalités bien réelles dans le jardin
  • L’absence d’une réelle communion entre l’homme et Dieu. Notez par exemple comment la femme ne fait pas référence à Dieu en utilisant le nom d’alliance « YHVH » comme le fait le narrateur de Ge 2-3, mais uniquement en employant le nom générique « Élohim ». De toute évidence, l’humain saisit incorrectement le commandement divin de ne pas manger le fruit de la connaissance (« vous n’y toucherez pas » ?!). Cet ajout marque une peur, une incompréhension.
  • L’absence d’une réelle communion entre l’homme et la femme; il n’y a aucun dialogue de relater entre les deux, et que la femme semble plutôt séduite par les propos du serpent… D’aucuns ne consulte/prie Dieu devant la tentation…

 

Bref, bien que tout fut créé « très bon », force est de constater que la « bonté » du monde n’excluait ni l’adversité, la faillibilité, l’angoisse, la fragilité, l’incertitude et les dangers inhérents à l’existence humaine. À côté du jardin, n’y avait-il pas les champs où vivaient serpent et autre animal rusé ?

Dans le prochain article nous nous demanderons si le narrateur veut, comme on l’a souvent enseigné, faire reposer tout le poids de la faute uniquement sur l’homme ?

 

 


Notes

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