Article 4 sur un total de 4 pour la série :

La Création, vue comme genèse et évolution ♥♥♥


Michel Salamolard

Pour une présentation de l’auteur,
vous pouvez vous reporter à l’introduction
du  premier article de la série.

Voir également son ouvrage  en finir avec le « péché originel? » paru chez Fidélité.


 

LA CRÉATION, VUE COMME GENÈSE ET ÉVOLUTION

4. Sans évolution créatrice, pas d’espérance

L’espérance chrétienne n’est pas un vague optimisme, mais une certitude fondée sur la volonté divine de conduire toutes choses à bonnes fins, très bonnes fins. L’espérance suppose une action créatrice non enfermée dans le passé, mais en mouvement continu vers un avenir que nous attendons dans la foi. Qui ne croit pas à cette évolution créatrice ne peut rien espérer d’autre que quelques années de vie sans trop de malheurs et de souffrance. Tous ses espoirs sont par avance détruits par la mort qui arrivera, précédée d’une diminution de la vitalité physique et psychique. Quant à l’avenir collectif de l’humanité, il se heurte à l’extinction de notre soleil dans quelques petits milliards d’années. À moins que la colonisation chimérique d’une autre planète ne nous accorde quelques délais supplémentaires. Dans quelles conditions ?

Bref, sans l’évolution créatrice et divine, il ne reste que le « gai désespoir » de Comte-Sponville. Gai, parce que le présent nous offre tout de même de belles satisfactions, en tout cas aux plus chanceux d’entre nous. Mais désespoir quand même, à cause d’un univers replié sur lui-même, sans projet divin qui expliquerait son origine et qui le porterait vers son accomplissement, par une création permanente, qui va vers plus et mieux. L’espérance est absente du Petit traité des grandes vertus si bien écrit par l’auteur que je viens de citer.

Le principe biblique d’évolution, de genèse et d’accomplissement à venir a donc tout pour être accepté avec une immense joie par tout chrétien, semble-t-il. Reste à préciser l’articulation de ce principe, qui fonde notre espérance, avec les données scientifiques concernant l’évolution du cosmos (le modèle standard du Big bang) et l’évolution de la vie sur notre planète, dans le sillage de Lamarck et de Darwin.

Comment se fait-il que, aux yeux de certains chrétiens, le concept biblique de création semble contredire les acquis scientifiques de l’évolution des espèces vivantes ? Selon moi, la difficulté ne vient pas d’un manque de formation scientifique des « créationnistes ». Certains d’entre eux sont parfaitement informés sur le plan scientifique. En revanche, on peut douter sérieusement de leurs compétences bibliques. Ce qui pourrait les amener parfois à un peu de myopie scientifique… Quand une des deux ailes de la connaissance, la science ou la foi, perd de sa vigueur, l’autre en subit les conséquences.

On reproche parfois aux (mal nommés) créationnistes une lecture littérale des Écritures. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’une lecture faussement littérale de la Bible. En effet, dans l’Écriture, il n’y a rien d’autre que des lettres. Toute lecture est forcément littérale. Mais les lettres sont des signes, comme les « luminaires » de Gn 1:14-18. Ils signifient, ils indiquent autre chose qu’eux-mêmes. À moins de les diviniser, de les adorer, un peu comme fait l’islam avec le Coran. Mais précisément, le récit de Gn 1, comme toute la Bible, interdit pareille idolâtrie. Dieu n’est ni dans le cosmos ni dans les Écritures qui parlent de lui.

La lecture faussement littérale consiste donc à rejeter la lettre comme signe. La lettre devient alors une idole muette. Plus on l’adore, moins on entend la Parole de Dieu qui l’a inspirée. La lettre idole tue, alors que lue dans l’esprit elle donne la vie. Apprendre à lire la Bible comme Parole de Dieu en langages d’hommes, tel semble donc bien l’unique remède pour sortir de l’impasse.

Mais un certain concordisme* peut mériter une critique symétrique. La fascination exercée par les fantastiques découvertes scientifiques, en physique comme en biologie, pourrait aussi conduire à ne plus entendre la Parole de Dieu, notamment dans les récits de création. S’ils sont réduits à des mythes sans consistance, reflets obsolètes d’une culture préscientifique, ces récits perdent leur intérêt pour la foi. Ils ne disent plus rien ou pas grand-chose.

Quelle parade à cet autre danger ? Apprendre à lire la Bible ! Ne pas appuyer sa foi sur des connaissances scientifiques, mais traiter ces dernières comme des signes, encore une fois. De même que toute la création considérée dans son actualité peut « dire » la gloire de Dieu, sans paroles (Ps 19 ; 104 ; Ps 8), ainsi la création dans sa réalité temporelle, mise en évidence par la science, peut « dire » aussi sans paroles la gloire de Dieu et sa permanente action créatrice.

Quel dommage que ses découvertes aient conduit Darwin à devenir agnostique ! À cause d’une mauvaise lecture de la Bible, lecture faussement littérale, qui mettait sa raison en opposition frontale avec de prétendus dogmes bibliques. Aujourd’hui, il pourrait au contraire s’émerveiller d’une évolution créatrice dont il avait découvert tant de signes à travers ses recherches empiriques. Tout comme Einstein aurait de quoi chanter son cantique des créatures et louer Dieu pour l’espace-temps, pour les galaxies en mouvement, pour l’étendue et la complexité de l’univers !

Au fond, à chaque fois que des certitudes scientifiques concernant l’évolution de la vie ou du cosmos entrent en collision avec ce que nous croyons lire dans la Bible, c’est sans doute que nous lisons mal. Autant d’invitations pressantes à apprendre à lire nos Écritures, encore et toujours !

Puisse mon essai de lecture de GENESE 1 donner au moins une petite idée de ce que pourrait être une lecture intéressante et féconde ! Et susciter le désir de lire encore mieux. Ce qu’on ne réussit jamais aussi bien qu’ensemble, en partage avec d’autres lecteurs chrétiens. Le sens des Écritures, comme disait sauf erreur Grégoire le Grand, grandit avec ses lecteurs. Tout en les faisant grandir dans la foi, précisait Augustin. À travers chacun de ses membres, c’est l’Église qui ne cesse de chercher dans la Bible une nourriture pour sa vie.


* Concordisme : Système d’exégèse visant à établir une concordance entre les textes bibliques et les données scientifiques. 


4 Articles pour la série :

La Création, vue comme genèse et évolution ♥♥♥