Genèse 1-11 a-t-il une leçon d’inculturation à donner à l’église évangélique d’aujourd’hui ? « L’inculturation » est un terme en missiologie (science de la mission chrétienne) pour parler de la façon dont l’évangile s’insère dans une culture hôte. Le néologisme inculturation parle en fin de compte de l’incarnation de l’évangile dans la culture. L’évangile doit-elle s’opposer à la culture, ou, à l’inverse, doit-elle la transformer de l’intérieur en prenant en considération ses cadres législatifs, culturels et scientifiques ?

Dans son livre Inspiration and Incarnation (2005), le théologien évangélique Peter Enns montre de façon brillante que l’Ancien Testament s’insère dans les cadres littéraires, législatifs et scientifiques du Proche Orient Ancien (POA). En ce sens, la Bible n’est pas tombée du ciel. On prend conscience que la Révélation de Dieu épouse les conceptions littéraires, culturelles et scientifiques des auditeurs qu’elle veut rejoindre. En d’autres termes, elle empreinte à la vision du monde dans laquelle elle baigne, celle du POA. On découvre dans l’église évangélique que l’AT a beaucoup en commun avec les peuples du POA, partageant avec eux une vision du monde dont les cadres conceptuels sont assez semblables. Bien sûr, la Bible ne se contente pas de répéter ou d’emprunter à cette vision du monde. Elle cherche à la transformer de l’intérieur.

 

jesus-noir La perspective créationniste « littérale » répondrait à cette affirmation que Genèse 1 fut l’objet d’une révélation spéciale de Dieu. Et qu’elle fut transmise sans faille par tradition orale depuis Adam jusqu’à Moïse qui l’aurait consignée par écrit. Elle soutiendrait que ce qui est premier, ce n’est pas les mythes polythéistes païens, mais le récit biblique. Que depuis Adam, les peuples incrédules auraient refusé d’admettre la vérité révélée et auraient inventé des mythes absurdes. Qui plus est, que la science moderne, dans ses efforts d’expliquer l’univers, ne ferait que continuer à discréditer Dieu et à lui demeurer rebelle. D’où les reproches de ces frères envers nous de trahir la Révélation.

Bien entendu, cette perspective « coranique » (dans le sens d’une dictée mécanique) de la Révélation doit être rejetée.  Ne serait-ce que parce qu’elle renie tout ce qui fait la dignité de l’homme : la liberté, l’intelligence, la foi. Si Dieu révèle l’origine du monde comme une dictée automatique, il ne reste deux choix : croit ou meurt. Et je pourrais ajouter : croit « sans comprendre » ou meurt. Car la perspective est plutôt tyrannique et totalement désincarnée. Elle contredit de plus le principe de révélation progressive, de même que le principe herméneutique d’accommodation. Et cet autre principe que nous regardons brièvement: l’inculturation.

 

Constater que Genèse 1-11 reprend en partie les cadres législatifs, culturels et scientifiques de l’époque du POA est un bel exemple d’inculturation. La Bible transforme la société de l’intérieur, en la renouvelant à partir de ce qu’elle est, et non pas en la tirant hors d’elle-même. Il me semble que cette perspective pourrait inciter l’église à penser que Dieu honore les bons côtés de la culture. Et qu’à chaque époque la Révélation de Dieu s’accommode des cadres conceptuels scientifiques, tout en cherchant à les replacer dans un juste cadre théologique. La Bible en viendrait à ne plus être comme un traité de lois et de science intemporelle, mais comme une puissance transformatrice des cadres législatifs, culturels et scientifiques existants. Genèse 1-11 serait possiblement un parfait modèle d’inculturation que Dieu nous laisse.

 

Pour faire un lien avec l’église évangélique au Québec

Faisons le parallèle avec l’église et l’évangile. Prenant appui sur ce qui vient d’être dit, l’évangile de Jésus-Christ ne serait plus une puissance qui vise à faire « table-rase » sur une culture et sur une conception scientifique du monde; mais l’évangile serait la puissance révélante qui, introduite par l’église, sème le bon grain au milieu d’une culture d’accueil en vue de la transformer de l’intérieur. En même temps, elle donnerait la force prophétique aux individus courageux d’arracher les mauvaises herbes culturelles, philosophiques, religieuses qui gardent captifs l’humanité de la connaissance de la vérité : celle qui se trouve en Jésus-Christ.

 

Il a été publié sur mon blog et sur celui de CRÉATION ET ÉVOLUTION « ma petite théorie » sur le désengagement des jeunes, il y a plusieurs années, dans la famille d’église anabaptiste/évangélique que je connais. Je dois admettre, puisque la critique m’en a été faite, que cette petite théorie est mienne et ne repose sur aucunes données empiriques.

 

Mais la critique que je fais rejoint mon point. Un des facteurs aggravant du désengagement de plusieurs jeunes, au niveau théologique du moins, a pu être la sur-accentuation de la théologie de la rédemption au détriment d’une saine théologie de la création. Le discours dominant de la « faute » et de la « culpabilité » humaine, comme si la Bible débutait avec Genèse 3, ou comme si la corruption avait envahit le plan de la nature davantage que celui de la culture,  a peut-être engendré une vision trop pessimiste de l’homme, de la culture, de la science et de la pensée philosophique. Et donc aurait provoqué un fossé béant entre l’église et le milieu de vie ambiant. Ce n’est pas de prêcher un évangile « dérangeant » que je déplore. C’est la distance qui a été creusé entre nous et la culture.

L’église évangélique a peut-être eu tendance à « planter sa tente » hors du monde, alors que Jésus a planté sa tente « dans le monde ». On voit que Genèse 1 a planté le récit de la création dans le cadre littéraire et scientifique du POA. Sans négliger le pôle fondamental de la rédemption, mais suivant un modèle d’inculturation, l’église pourrait à profit s’engager dans le monde, s’inculturer dans la société hôte au niveau intellectuel, humanitaire, économique, artistique, etc. pour la transformer de l’intérieur (le modèle de Jésus) et appelé chaque personne à une relation vivante avec le Dieu créateur.

 

Bruno Synnott

P.S. Je crois crois que cette perspective est maintenant partagée par notre famille d’église des Frères Mennonites à laquelle je suis très fier d’appartenir.