Article 2 sur un total de 2 pour la série :

L'Eglise et la science


 

Poursuivons notre étude sur les rapports de l’Eglise avec la Science.
Que pouvons-nous dire de l’approche fondamentaliste en revenant sur les origines de ce mouvement protestant ?

 

Une chrétienté plurielle

Le monde évangélique ne craint pas les paradoxes !… La force de ce mouvement est sans conteste l’amour de la vérité et l’expression d’une foi vivante la plus fidèle possible à celle des premiers chrétiens conformément à l’enseignement du Christ comme nous le rapporte les évangiles. Or au lieu de se trouver unie en une seule et grande famille comme les premières communautés du livre des actes, force est de constater qu’il n’existe pas une doctrine évangélique mais presque autant de confessions de foi que d’églises locales (j’exagère à peine…). Comme quoi l’accès à la vérité n’est pas une si mince affaire !

Alors plutôt anabaptiste, baptiste, darbyste, adventiste, pentecôtiste, mennonite, charismatique, apostolique, méthodiste, « autriste » ?…

Il y a quand même un avantage avec cette diversité, c’est qu’il sera plus aisé à chacun de trouver une expression de foi dans laquelle il se sent en accord pour exercer sa dévotion. C’est ce que rappelle la Fédération Protestante de France en réponse à la question «  pourquoi plusieurs églises protestantes ? » avec cette formule pudique :

  Affirmant une seule foi, ils présentent néanmoins plusieurs visages, plusieurs confessions.  [1]

Cependant, si j’adhère profondément au respect que l’on doit à chaque communauté, j’ai du mal à comprendre comment l’Eglise va continuer de progresser quand ces confessions de foi servent à nous protéger les uns des autres comme des murs infranchissables figeant pour ainsi dire nos doctrines dans la glace comme des dogmes au-dessus du fondement même de la foi qui nous unit.

Certains sujets que nous partageons sur ce site par exemple crispent tellement les conversations qu’il est même quasi impossible de les aborder au sein de nos églises !

 

L’église protestante traditionnelle sera peut-être quant à elle plus à l’aise à aborder les sujets scientifiques et à avoir une approche rationnelle d’autant plus qu’on se rapprochera d’une tradition libérale (rationalité oblige !)

 

L’église Catholique de par son organisation présente un double avantage (pour le sujet qui nous concerne) : celui de disposer d’une instance compétente, active et reconnue en science à savoir l’Académie pontificale des Sciences, et également de pouvoir par la voie du Pape en particulier, exposer à l’ensemble des fidèles la position officielle de l’Eglise sur certains sujets controversés comme la théorie de l’évolution. C’est ce que fit le Pape Jean Paul II en octobre 1996 dans un message bien connu maintenant à l’intention dudit Conseil Académique à propos de la validité de la théorie de l’évolution et sa compatibilité avec la foi chrétienne[2] .

 

L’approche fondamentaliste omniprésente

Pourtant que ça soit dans une famille ou dans une autre, quelle que soit l’organisation en place, nulle part vous ne trouverez l’unanimité sur les questions liées à l’origine de l’homme et au-delà de ça, à notre manière d’aborder les textes bibliques.

En remontant le fil, au sein de l’église catholique par exemple, malgré la position papale des voix contraires s’élèvent à l’image de ce livre « stabilité des espèces »[3] du prêtre Olivier Nguyen aux éditions Jubilé, dont le titre parle à lui tout seul…

Au Sein de l’église protestante (ou mixte évangélique), on connaîtra également un enseignement très conservateur comme le propose l’institut Jean Calvin tel qu’on peut le lire au travers de cet article paru dans la Revue réformée à propos de la Genèse et l’évolution.[4]

On remarque surtout qu’au sein de la même communauté de croyants, le spectre de lecture (littérale ou non) est assez large.

Le monde évangélique ne fait pas exception à la règle, même si on ne peut pas parler à proprement dit d’un mouvement fondamentaliste à part des autres « istes », en fait c’est au sein des diverses communautés que les croyants auront plus ou moins d’affinité avec cette approche, même si certaines confessions de foi se revendiqueront directement de ses principes (approche littérale des Ecritures, Adam historique, etc..).

 

 

Au fait, c’est quoi être fondamentaliste ?

Débarrassons-nous tout de même d’une équivoque sur la polysémie de notre mot qui fait parfois figure d’insulte, actualité oblige !…

Pour « l’homme de la rue » ou le « bloggeur furtif » pour coller plus au contexte, le terme de fondamentaliste renvoie le plus souvent au sens d’extrémiste religieux voire « intégriste » ce à quoi le CNEF (Conseil National des Evangéliques de France) répond[5] :

Les évangéliques sont-ils des fondamentalistes ?

Si fondamentaliste est compris comme intégriste, alors ils ne le sont pas. Cependant toute conviction forte, qu’elle soit morale, politique ou spirituelle, a nécessairement ses propres fondements. Les évangéliques tirent leurs valeurs de la Bible et ont le désir de mettre en pratique l’enseignement de Jésus-Christ, tel que chacun peut le découvrir dans les évangiles.

 

Quand un évangélique se réclame du fondamentalisme, c’est dans un sens moins fort, plus noble et historique. C’est d’ailleurs le sens premier du mot, la définition Wikipédia[6] fera fort bien l’affaire :

Le fondamentalisme désigne une position religieuse qui soutient une interprétation stricte et littéraliste de textes sacrés.

En vous reportant à l’article, vous constaterez que l’émergence du fondamentalisme protestant date du début du XXe siècle aux Etats-unis et a été motivé principalement pour se protéger des excès du libéralisme. Il est né par la publication des «Fundamentals», articles définissant à l’origine cinq points fondamentaux de la doctrine chrétienne : l’inerrance de la Bible, la déité de Jésus Christ, sa naissance virginale, la rédemption du Christ, la résurrection physique de Jésus et son retour dans sa chair.

Aux Etats-Unis, ce mouvement conservateur va jouer un rôle politique très actif notamment dans les années 80 avec le mouvement de la Moral Majority ralliant les télévangélistes puis avec l’organisation Liberty Federation. Les revendications portent sur l’avortement, l’homosexualité, l’enseignement de l’évolution à l’école, la menace de « l’humanisme séculier », la prière à l’école publique.[6b]

 

 

Les premiers fondamentalistes étaient-ils créationnistes jeunes Terre ?

Nous pouvons remarquer qu’à ce stade (la rédaction des fundamentals) contrairement à ce qu’on entend parfois et comme semble l’insinuer notre visiteur, le fondamentalisme au sens noble du terme – celui de se réclamer du fondement – ne justifie en rien le créationnisme dit de la jeune terre.

Comme le souligne Les Haarsma dans leur Livre ORGINES .[6c] : 

« Ces essais évoquaient à peine l’âge de la Terre. En fait, cette question brille par son absence. Si ces leaders avaient considéré qu’une Terre jeune et une création en six jours constituaient pour eux des points essentiels de doctrine, ils l’auraient certainement mentionné dans ce volume.

Au contraire, James Orr fit l’apologie de l’astronomie, de la géologie et de la compatibilité des résultats scientifiques avec la foi, à un moment où le consensus quasi universel parmi les astronomes et les géologues était que l’univers et la Terre étaient extrêmement âgés (« The Early Narratives of Genesis » : « Les anciens récits de la Genèse », The Fundamentals, Volume 1). Dyson Hague affirmait que l’historicité de la Genèse est un point essentiel de doctrine chrétienne et que « l’homme a été créé, il n’a pas évolué ». Pourtant, en parlant des quatre premiers jours de la création, Hague écrivit : « Nous admettons que la Genèse n’est pas une histoire d’ordre scientifique. Elle est un récit destiné à l’humanité pour montrer que ce monde a été fait par Dieu comme demeure pour l’homme, et pour montrer comment il a été adapté graduellement pour les enfants de Dieu » (« The Doctrinal Value of the First Chapters of Genesis » : « La valeur doctrinale des premiers chapitres de la Genèse », The Fundamentals, Volume 2).

Certains chrétiens prétendent aujourd’hui que le créationnisme jeune Terre a été la vision chrétienne dominante tout au long de l’histoire de l’Église. En réalité cette idée n’était pas très répandue chez les leaders chrétiens conservateurs en Amérique du Nord, y compris ceux du mouvement fondamentaliste, entre le début du XIXe et le milieu du XXe siècle. »

En fait c’est à partir des années 1950 et en particulier à partir de 1961 avec la parution du livre The Genesis Flood: The Biblical Record and Its Scientific Implications (Le Déluge de la Genèse : le récit biblique et ses implications scientifiques) que le mouvement moderne du Créationnisme Terre Jeune s’est réellement développé sous l’influence de leurs auteurs : le théologien John Withcomb et l’ingénieur Henry Morris.[6d]

 

 

Le vrai fondement

Nous retrouvons d’ailleurs cette idée dans la suite de la page du CNEF sur ce qui réunit tous les chrétiens concernant la foi fondamentale[7] :

LE SALUT

Nous croyons que la justification de l’homme s’opère par la grâce de Dieu en Jésus-Christ seul médiateur entre Dieu et les hommes et qu’elle est reçue uniquement par la foi personnelle. Nous croyons à la nécessité de la repentance et de la nouvelle naissance conduisant à une vie de piété, […].

 

Il n’est pas question ici de l’âge de la terre ni même de l’historicité d’Adam et c’est bien heureux !

 

 

Conclusion & Remarques

La pluralité du protestantisme évangélique donne à réfléchir au fondamentalisme en ce que les Ecritures s’interprètent différemment et ont donné ce magnifique patchwork de diversité historique qui montre que l’Eglise est en marche et non pas figée dans un bloc. Les fondamentalistes n’ont pas l’apanage de la vérité ! C’est un mouvement très jeune au regard de l’histoire du protestantisme. D’autant plus les créationnistes Jeune Terre (années 1950).

Le problème du fondamentalisme, c’est qu’il n’a cessé d’élargir le fondement jusqu’à y ajouter des éléments de doctrines et d’interprétations subjectives. Le piège du littéralisme appliqué à la Genèse le place dans une position d’opposition systématique avec les découvertes de la science moderne. Une exégèse correcte doit forcément être en cohérence avec le monde qui nous entoure, cela devrait être un indice fort à reconsidérer certaines approches quand nos interprétations des Ecritures et de la nature ne correspondent pas.

la séparation de l’église et de l’état (loi 1905) nous aura protégé des dérives politiques du fondamentalisme américain mais le même état d’esprit se fait malheureusement parfois bien sentir de vouloir transformer notre démocratie en théocratie. Nous voudrions parfois  voir notre société laïque appliquer les règles de la Bible sans voir la vie intérieure des gens changer ! Or Il ne me semble pas que Jésus ait envoyé les disciples deux par deux pour faire la révolution ou imposer de nouvelles lois mais plutôt pour prêcher une bonne nouvelle et libérer les cœurs !.. Et s’ils étaient mal reçus, qu’elles étaient les instructions ? Faire le procès du singe ? jeter les perles aux pourceaux ? Je vous laisse chercher dans vos Bibles…

Je m’étonne toujours de l’approche apologétique fondamentaliste, prompte à condamner et à mettre l’accent sur la différence plutôt que de montrer le chemin de la grâce.

Quant au débat qui nous occupe et aux noms d’oiseaux qui échappent bien trop facilement encore, peut-être devrions-nous nous rappeler ces paroles de Jésus pour mesurer les progrès qui nous restent à parcourir quand pour une fois la lecture littérale s’impose à nous :

Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens: ‘Tu ne commettras pas de meurtre; celui qui commet un meurtre mérite de passer en jugement.’
Mais moi je vous dis: Tout homme qui se met |sans raison| en colère contre son frère mérite de passer en jugement; celui qui traite son frère d’imbécile mérite d’être puni par le tribunal, et celui qui le traite de fou mérite d’être puni par le feu de l’enfer.

Matthieu 5 21-22

 

Nous ne devrions pas prendre à la légère ces Paroles du maître, car quoi de plus crédible pour l’Église que de pouvoir établir un dialogue gracieux et constructif sur des questions difficiles ne serait-ce qu’en guise de témoignage ? Mais aussi en gage que c’est bien l’Esprit qui nous conduit et qui produit son fruit et non pas nos propres capacités qui produisent haine et agacement ! Tout l’enjeux est là, ça c’est un fondement qui me parait réellement scripturaire celui-là car  il est vraiment en Christ et n’est pas enfoui dans le sable de nos prétextes d’obscures théologies !…

 

le mot de la fin

Résistons à la tentation de voir dans ce discours de Jésus une menace d’envoyer le monde (et nous-même) en enfer. Dans le discours sur la montagne, Jésus met l’homme face à sa propre incapacité de réaliser l’intégralité de ce qui est bon et bien et révèle la véritable nature du cœur humain. Sans le secours de l’Esprit, impossible pour nous de réaliser  le désir du cœur de Dieu. C’est pourquoi Jésus dira à ses disciples :

il vous est avantageux que je m’en aille.

Jean 16:7

Le fondamentalisme a trouvé sa source en réaction aux excès du libéralisme, comme bien souvent la réaction à un extrême nous propulse dans une autre.  le premier se sent ainsi sécurisé par sa lecture strictement littéraliste en appliquant toujours la même règle, simple applicable par tous quitte à être en totale contradiction avec le monde qui l’entoure, le second se sent rassuré par sa raison qui prédomine quitte à sacrifier le miraculeux sur l’autel de la vérité.

Comme n’importe quel texte, la Bible s’interprète (voyez la polémique sur le code du travail que les juristes expérimentés savent détourner à leur avantage)  car au delà des mots c’est l’esprit qui se cache derrière les mots qu’il faut aller chercher.. mais saurions-nous le faire sans même nous interroger sur le contexte dans lequel ces textes ont été rédigés ? A qui ils s’adressaient en premier lieu, etc ?..

Jésus a fait cette promesse :

L’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité.

Jean 16:13

 

c’est toujours très présomptueux de se réclamer de la vérité par rapport aux autres, mais nous devrions faire tout nos efforts d’humilité pour

  • Reconnaître que sans l’Esprit nous ne pouvons rien faire de constructif et d’efficace
  • Reconnaître que Dieu se révèle à la fois dans sa Parole et dans sa Création et que ces deux révélations devraient donc s’avérer harmonieuses sinon c’est certainement notre interprétation qui pose problème,
  • Quitte à reconnaître qu’on n’est pas 100% de notre temps inspiré par l’Esprit (nous ne sommes pas Dieu) faisons au moins le nécessaire pour dégager l’état d’esprit de nos Bibles pour qu’elles cessent enfin d’être des préceptes à la pharisienne mais une véritable source d’eau fraîche qui donne envie et étanche la soif !

 

 


Notes

[1] Fédération Protestante de France : http://www.protestants.org/index.php?id=7

[2] Message du pape Jean-Paul II qui reconnaît la théorie de l’évolution : http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/pont_messages/1996/documents/hf_jp-ii_mes_19961022_evoluzione.html

[3] Livre « stabilité des espèces »  sur Amazon : https://www.amazon.fr/Stabilit%C3%A9-esp%C3%A8ces-Lenqu%C3%AAte-Olivier-Nguyen/dp/2866795555

[4] Article conservateur de la Revue réformée de l’institut Jean Calvin sur la Genèse et l’évolution : http://larevuereformee.net/articlerr/n261/genese-et-evolution

[5] Le CNEF, Question fondamentalisme : http://lecnef.org/ce-qu-ils-croient#sont%20ils%20fondamentalistes

[6] Définition du fondamentalisme, article WIKIPEDIA : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondamentalisme

[6b] Jean-Paul Willaime ; La précarité protestante – Sociologie du protestantisme contemporain ; Ed. LABOR FIDES ; p. 67

[6c] Deborah & Loren Haarsma ; ORIGINES  ed. Science & Foi ; p. 122

[6d] ibid. p. 133

[7] Le CNEF, Le salut : http://lecnef.org/ce-qu-ils-croient#sont%20ils%20fondamentalistes


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