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"création, chute, rédemption" revisitées ♥♥♥


Partie 3 : Une anthropologie réaliste

Dans ce billet, nous allons aborder le deuxième aspect « anthropologique » dans la théologie création-chute-rédemption.

Après avoir proposé une conception « réaliste » de la création, nous allons maintenant chercher à présenter une anthropologie réaliste de l’homme pécheur.

La plupart d’entre nous conservons du second récit de la création du monde et de l’humanité la conception augustinienne d’un jardin paradisiaque où la souffrance et la mort n’existaient pas. On se représente Adam et Ève vivant main dans la main, en parfaite harmonie, louant et bénissant Dieu dans une communion sans faille.

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Dans la série La doctrine du péché originel peut-elle s’écrouler ? nous avons sérieusement remis en question cette vision des choses avec des arguments exégétiques. Nous percevons chez les auteurs bibliques une compréhension autre de l’humain, bien différente du pessimisme anthropologique hérité de la pensée d’Augustin et qui a marqué toute la tradition théologique protestante en Occident. Nous pourrions dire en gros que:

En créant l’humain, Dieu ne s’est jamais attendu à ce qu’il soit parfait, mais a ce qu’il ait la foi. Le créateur n’a jamais eu l’attente que l’être humain demeurât sans péché (au sens de briser la loi), mais qu’il surmonte les tentations et les épreuves en lui faisant confiance.

Rappelons que les Pères de l’église, Irénée de Lyon compris, ont conçu le paradis comme un lieu saint et bon. Dans son livre La Prédication Apostolique, Irénée dépeint le séjour d’Adam et Ève. Il ne se gène pas d’y ajouter des détails (appelés « gloses ») qui ont fini par entrer dans l’imaginaire chrétien. Il écrit notamment :

 Le Verbe de Dieu s’y rendait tous les jours (au jardin d’Éden); il s’y promenait et s’entretenait avec l’homme, préfigurant les choses de l’avenir, c’est-à-dire qu’il habiterait et s’entretiendrait avec lui, et qu’il demeurerait avec les hommes pour leur enseigner la justice. Mais l’homme était un enfant; il n’avait pas encore le parfait usage de ses facultés, aussi fût-il facilement trompé par le séducteur. [1].

On trouve dépeint cette image bucolique d’un Jésus faisant la classe aux premiers enfants créés, les préparant à la justice, bien que ceux-ci ne fussent pas assez mature pour bien comprendre ! Irénée puise de l’inspiration chez d’autres Pères comme Théophile d’Antioche (mort vers 185). Clément d’Alexandrie la reprend. Elle sera rejetée par Augustin qui considérera Adam davantage comme un surhomme vivant dans un état de sainteté [3]. Notre imaginaire sera dorénavant rempli de cette conception idyllique d’un paradis sans souffrance et d’un premier couple en parfaite harmonie avec Dieu. Or cela ne correspond ni à la réalité d’une création évolutive, ni aux textes bibliques eux-mêmes.

On note cependant que la conception d’Irénée de Lyon, à propos d’un Adam créé enfant est beaucoup plus réaliste que celle d’Augustin : L’enfant est en croissance. Il ne sait pas tout. On sait maintenant que le cerveau des enfants n’est pas encore totalement formé avant l’âge de 20 ans, voire plus [2]. La théologie d’un Adam « enfant » en apprentissage, en développement est très ancienne et c’est l’idée à laquelle nous voulons nous rattacher pour proposer une vision réaliste de l’homme.

Mais revenons à la Parole : En Adam, ce n’est pas « un » individu isolé (ou un couple) qui est choisi, c’est toute l’espèce humaine. Remarquez comment Dieu le forme à partir de la poussière du sol AVANT de le placer dans le jardin. On remarque qu’Adam a été pris hors du jardin pour y être placé à l’intérieur. Ou était-il avant ?! Subtilement, le narrateur suggère que le lieu de naissance de l’humanité n’est pas le jardin d’Éden. Cet indice nous pousse à penser que l’Adam – le terrien – fut créé « être naturel » comme dit l’apôtre Paul (1 Co 15. 43-45), une âme vivante comme le reste des animaux (comparez Ge 2.7 et 19).

Le narrateur du prologue de la Genèse souligne que par ce geste de placer l’homme dans le jardin pour qu’il puisse le garder et le cultiver, Dieu choisit l’homme, il l’élit comme il le fera avec Abraham et le peuple d’Israël. C’est l’élection de l’humanité dont il est question en Ge 2, non pas simplement d’un couple isolé au milieu d’autres hominidés vivant à la même époque. En Adam, Dieu choisit l’humanité et en fait sa créature d’élection. Non pas à cause d’une soi-disant sainteté ni même d’attributs intellectuels supérieurs aux animaux, mais simplement parce que Dieu choisit de faire l’homme son image. Or l’homme n’est ici encore qu’au stade naturel. Il est une « âme vivante ». Il le prend naturel et entreprend de le transformer spirituellement.

 

Parallèle entre Adam et Abraham

Il est difficile de ne pas voir clairement dans le prologue de la Genère (1-11) deux (2) trames parallèles : D’abord l’action constante de Dieu au cœur de l’humanité naissante, lequel promet à l’humain la victoire sur tout ce qui vient tenter/diviser l’homme dans la création (et dont le serpent est le symbole). Dans cet esprit, on voit Dieu interpeller Caïn à se repentir, puis les hommes commencent à l’invoquer (Ge 4.25), il est en relation 300 ans avec Hénoch, Noé le juste écoute la parle de Dieu et interpelle les hommes, etc. Et tout ceci avant même l’appel d’Abraham et la formation du peuple juif! Dieu est manifestement en relation avec toute l’humanité. L’auteur Juif a l’humilité de le reconnaître et c’est encore aujourd’hui un excellent point de contact avec tous les peuples païens.

En parallèle, on voit une seconde trame narrative: la gradation du péché qui devient universelle, depuis la première désobéissance (Adam), le premier meurtre (Caïn), le mélange avec les « fils de Dieu », le déluge et la tour de Babel. L’auteur juif montre clairement la progression universelle du péché et le « bazar» dans lequel la rébellion humaine a mené l’homme.

Cette double trame narrative, i.e l’action universelle de Dieu envers les nations (Ge 4.25, Ac 14.16ss et 17.26) et progression universelle du péché (Ge 11, Ps 54, Rom 1-3) aboutie en Ge 12 à l’appel d’Abraham le polythéiste issu d’une culture païenne (Jos 24.2ss) mais découvrant la foi monothéiste. Et c’est le pivot entre Ge 1-11 et Ge 12-50. Le Dieu qui appelle Abraham, le païen, est celui qui a créé Adam le terreux. Le Dieu qui agit maintenant par Israël en faveur des nations – et non pas contre elles – est celui qui aime l’humanité naturelle et agit dans le monde en sa faveur depuis le début. Ge 1-12 n’en est-il pas la preuve?

Bref, comme Abraham, l’humanité primitive n’avait pas besoin d’être parfaite pour être élue, mais étant choisie par grâce, elle était appelée à marcher par la foi pour être transformée à l’image de Christ.


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