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Comprendre l'évolution: comment de nouvelles espèces apparaissent-elles?


L’article d’aujourd’hui a été écrit par Dennis Venema. Dennis Venema est professeur au département de biologie de l’Université Trinity Western à Langley, en Colombie-Britannique. Sa recherche est axée sur la génétique de la mise en place des plans d’organisation et de leur détermination.

 Traduction pour le blog création et évolution: Jean Thil, professeur de biologie.

L’article original paru sur le site de la fondation biologos est visible ici.

 

Un des défis lorsqu’on parle d’évolution dans les cercles chrétiens évangéliques est qu’il y a une confusion très répandue sur la façon dont l’évolution fonctionne réellement. Dans cette série d’articles, je parle des aspects de l’évolution qui sont souvent mal compris dans la communauté chrétienne. Dans le premier article, nous avons décrit de quelle façon la spéciation résulte de changements dans les caractéristiques moyennes acquises entre deux populations qui sont devenues (au moins partiellement) isolées génétiquement. Dans cet article, nous examinerons la façon dont ces principes s’appliquent à l’évolution humaine, et les interactions qui existent entre la lignée humaine et deux autres groupes d’hominidés: les Néandertaliens et Denisovans.

 

L’isolement géographique et les barrières de reproduction

Comme nous l’avons vu, la spéciation (les événements qui conduisent à l’isolement reproducteur entre les populations) peut être un processus long et complexe. Les populations peuvent devenir isolées géographiquement (par exemple grâce à la migration) et commencer à accumuler des différences génétiques qui peuvent constituer une barrière à la reproduction. Cette barrière peut, cependant n’être qu’un obstacle partiel. Les populations d’épinoches dont nous avons parlé précédemment en sont un exemple: le premier événement conduisant à la spéciation était la séparation physique quand certains poissons marins ont colonisé de nouveaux habitats d’eau douce. Même après des différences significatives accumulées entre les formes marines et les formes d’eau douce, une seconde vague de colonisation de l’eau douce par la forme marine a remis en contact les deux groupes, conduisant à des échanges génétiques même si les deux groupes sont restés largement distincts. Au moment de la seconde colonisation, qu’il y ait une ou deux espèces présentes est un sujet de discussion: les deux positions sont envisageables et défendables. Un scientifique qui penche pour une espèce argumentera que les deux groupes peuvent encore produire une descendance fertile, alors qu’un collègue penchant pour deux fera valoir que les deux populations présentent des caractéristiques et des niches écologiques distinctes, et que les hybrides résultant de croisements sont pas aussi bien adapté aux deux niches. Une chose est claire: la spéciation, comme tout processus lent, est progressive, et un point de démarcation clair ne peut être positionné sur un phénomène progressif. Pour revenir à notre analogie, du folioscope (flip-book), chaque page adjacente n’est que légèrement différente des pages qui l’entourent. Si l’on compare des pages largement séparées, les différences sont claires. Le fait est qu’il n’y a pas une seule page intermédiaire que l’on puisse identifier comme l’étape où les images « sont devenues différentes. »

Bien que cette discussion puisse sembler un peu académique et sans intérêt (peut-être parce que l’on pourrait réduire de tels événements à de la simple «microévolution» des épinoches), nous avons récemment découvert que des événements semblables interviennent dans la spéciation humaine. Disons le, les épinoches ne sont pas conscientes, ni préoccupés par les implications théologiques de la façon dont elles sont devenues ce qu’elles sont, mais nous le sommes certainement pour notre propre espèce (et peut-être aussi pour les épinoches). Ce qui était autrefois un sujet d’intérêt principalement pour les spécialistes est en train de devenir un sujet d’intenses discussions parmi les évangéliques: nous avons appris récemment qu’une partie de la lignée menant aux humains modernes a été croisée avec d’autres espèces d’hominidés rencontrées lorsqu’ils ont migré hors d’Afrique il ya environ 50.000 ans. Afin d’expliquer ce qui s’est passé, nous allons reprendre l’histoire à un stade antérieur, près de 450.000 ans plus tôt.

 

Out of Africa : hypothèse de l’origine africaine récente

Quelque part entre -500.000 et -300.000 ans, les ancêtres de l’homme de Neandertal (Homo neanderthalensis ) ont quitté l’Afrique et ont migré dans la région du Moyen-Orient, et de là vers l’Europe et certaines parties de l’Asie. (Rappelons qu’à ce moment, les ancêtres des humains sont encore tous en Afrique, et y resteront jusqu’à environ -50.000 ans). Les néandertaliens ont persisté au Moyen-Orient et en Europe jusqu’à il y a environ -30.000 ans, ce qui signifie qu’il y a eu une période durant laquelle les humains, en quittant l’Afrique, environ 50.000 ans pourraient s’être croisés avec eux avant leur extinction. Ceci est resté une supposition jusqu’à l’amélioration des techniques de récupération et de séquençage de l’ADN ancien. Il est maintenant possible d’obtenir et de séquencer l’ADN à partir de restes de Neandertal, et le génome complet de Neandertal a été publié début 2010. Les résultats sont fascinants: la comparaison des séquences d’ADN des deux espèces indique que les humains modernes, non-africains ont environ 1 à 4% d’ADN de Neandertal dans leur génome. Cette variation, cependant, n’est pas présente chez les humains d’Afrique sub-saharienne, car ce sont les descendants de ceux  qui n’ont pas quitté l’Afrique et qui, à cause de la séparation géographique, n’ont jamais eu l’occasion de se croiser avec les Néandertaliens. Nous savons également que le groupe qui a quitté l’Afrique a connu une réduction de la taille de la population à environ 1200 individus (un goulot d’étranglement génétique), alors que ceux qui sont restés ont maintenu une taille de population plus importante (environ 6000 individus) sur la même période.

 

De nouveaux détails

En plus de cette information, nous avons récemment découvert une nouvelle espèce d’hominidés venus d’Asie, comme l’a récemment décrit Darrel Falk  ici sur BioLogos. Cette espèce, nommée «Denisovans » nous est connue uniquement par quelques fragments d’os et une molaire, mais – fait exceptionnel pour un paléo génome de cet âge – cela a été suffisant pour déterminer la séquence complète de son génome. Les résultats ont été, à nouveau, fascinant: les Denisovans sont liés aux Néandertaliens et ils se sont séparés après que leur ancêtre commun ait quitté l’Afrique. Les Néandertaliens ont migré vers l’ouest de l’Europe, et le Denisovans a colonisé l’Asie (et des preuves suggèrent qu’ils étaient largement répandus). Encore plus intéressant : la comparaison de l’ADN des Denisovans et de l’ADN humain indique que certains humains (les Mélanésiens modernes) ont environ 5% d’ADN de Denisovan dans leur génome. Cette variation ne se retrouve pas chez les Européens ou les Africains.

 

Rassembler les éléments de l’histoire

L’assemblage de toutes ces informations permet de reconstituer l’histoire suivante : l’ancêtre commun des Néandertaliens et des Denisovans a migré de l’Afrique vers le Moyen-Orient entre -500.000 et -300.000 ans, en laissant derrière une population qui allait devenir l’homme moderne (à environ -200.000 ans). Au Moyen-Orient, les populations destinées à devenir les Néandertaliens et les Denisovans se sont désolidarisées, et les différences se sont accumulées au cours des quelques centaines de milliers années qui suivirent pour aboutir à deux espèces distinctes. Ensuite, lorsqu’une une population d’hommes modernes a quitté l’Afrique il y a environ – 50.000 ans, ils ont, peu de temps après, rencontré les Néandertaliens, et se sont reproduits avec eux. Cet échange génétique est faible, à cause des barrières reproductives partielles existantes, mais une petite fraction de l’ADN de Neandertal s’est introduite dans cette lignée. Des groupes se sont alors séparés de cette population, certains ont migré en Europe et d’autres en Asie. Ce dernier groupe a alors rencontré les Denisovans, se sont croisés avec eux, et une fraction de l’ADN des Denisovans s’est incorporé dans leur génome. Cette population a continué de coloniser l’Asie du Sud, l’Océanie et l’Australie, et nous retrouvons aujourd’hui cette variation chez les Mélanésiens. Les humains modernes ont donc eu différentes trajectoires d’évolution: les Mélanésiens ont à la fois les Néandertaliens et les Denisovans dans leur lignée, les Européens ont seulement les Néandertaliens, et les Africains n’ont ni l’un ni l’autre.

 

Nouvelles données, nouvelles questions

Même si je suis étonné de ce que Dieu nous a révélé sur nos origines grâce à la science, je sais que cette information sera difficile à accepter pour certains au sein de la communauté évangélique. Par ailleurs, il est presque certain que certains groupes chrétiens, malheureusement, présenteront ces informations de façon inexacte à leurs membres  (intentionnellement ou non), ce qui sème la confusion et entrave le débat théologique nécessaire. Pourtant, j’ai des raisons d’espérer: Dieu a jugé bon de nous révéler cette information, ce qui suggère qu’il croit que la communauté chrétienne évangélique est prête pour ce débat. Comme Darrel l’a mentionné à la fin de ce récent article, notre désir, à BioLogos, est d’aider, toutes les manières possibles, nos frères et sœurs évangéliques dans ce débat, confiants qu’il peut être conduit de manière édifiante:

La fondation BioLogos existe pour aider les chrétiens à réfléchir sur les conséquences de ces nouvelles données dans la lumière des conceptions traditionnelles de la création humaine. Nous avons quelques conceptions à modifier, mais cela peut être fait et cela sera fait dans le contexte d’une foi chrétienne totalement orthodoxe et parfaitement  évangélique. Chaque fois que nous nous rapprochons de la vérité, de la vérité de Dieu, nous n’avons rien à craindre. Il y a encore beaucoup à apprendre, mais nous pouvons regarder en arrière à ce que nous avons appris avec respect.


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