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climato-sceptiques et créationnistes


Lorsque j’étais gamin, mes amis et moi inventions souvent des jeux. Comme tous les gamins. Nous commencions par en imaginer les règles, les objectifs, les modalités. Puis nous nous lancions. Comme le jeu avait presque toujours un perdant, il était fréquent que durant la période de rodage (et même au-delà), le perdant proteste. Il n’est pas très difficile d’imaginer ses arguments : « On avait même pas dit ça ! », « D’abord, on était pas d’accord ! ». Ou bien « Cette règle, elle est nulle ! », etc.

Le nombre de protestations possibles était finalement assez limités, et les dites protestations restaient sans trop de surprises. C’est surement pour cela que nos parents se contentaient de rigoler en nous écoutant. Il n’y a pas 36 manières de remettre en question le fruit d’un consensus.

Il n’est donc pas surprenant de constater que climato-sceptiques[1] (« CS » dans la suite) comme créationnistes « jeune univers » (« CJU ») usent de tactiques très similaires pour soutenir leurs positions. On se trouve dans les deux cas en présence d’un collectif qui a pour lourde tâche de prendre un contre-pied la quasi-totalité de la communauté des experts en la matière. Pas facile. J’aimerais ici souligner un certain nombre de leurs stratégies communes.

 

Nier le consensus

«On avait pas dit ça », disait mon copain d’antan. Les choses n’ont pas changé. Si l’ensemble de la communauté scientifique n’est pas d’accord avec moi, je peux commencer par prétendre qu’elle n’est pas non plus d’accord avec elle-même. Nier le consensus. Histoire d’être un peu moins seul.

Combien d’articles prétendant que les observations astronomiques montrent un univers plus jeune que 6 000 ans, ont-ils été publiés dans les revues spécialisées[2] comme Nature, Science ou bien Astrophysical Journal depuis 100 ans ? Zéro. Il n’est donc pas surprenant de voir les sites créationnistes CJU offrir une liste de docteurs soutenant leur point de vue, pour tenter de redorer le blason de leurs thèses. Le site creation.com en mentionne par exemple 192. Seuls 6 d’entre eux sont prétendument « astronomes » ou bien « cosmologistes ». Contre des dizaines de milliers. Si parmi les 20 amis qui avaient concocté les règles de vos jeux, un n’était pas d’accord, remettiez-vous en question le consensus initial ? Surement pas. Vous pensiez juste avoir affaire à un enquiquineur (surtout si c’était toujours le même). Alors 6 sur des dizaines de milliers…

Côte climat, c’est un peu la même chose. Sauf qu’ici, les sceptiques ont mieux réussi à semer le doute dans la population. Une étude[3] récente montre qu’aux Etats-Unis, le public a le sentiment que le consensus scientifique en faveur de la thèse du réchauffement climatique d’origine humaine, varie entre 30 et 70% selon l’orientation politique des sondés. En gros, le non-spécialiste s’attend à ce que 1 climatologue sur 2 ne soit pas d’accord avec l’autre. Qu’en est-il réellement ? Certains[4] ont analysé presque 12 000 articles scientifiques sur le sujet, écrits entre 1991 et 2011. Ils ont compté combien d’entre eux soutiennent la thèse du réchauffement d’origine humaine. Résultat: plus de 97%. Tous ceux qui ont tenté de quantifier le consensus, en analysant la littérature ou bien en sondant directement, parviennent à une conclusion similaire[5]. Bref, il y a consensus chez les scientifiques, et consensus chez les quantificateurs du consensus.

Dans un cas comme dans l’autre, il y a bel et bien consensus de la communauté scientifique. On peut trouver des milliers d’experts pour contrer les thèses CJU et CS. Pas pour les défendre.

 

Invoquer une conspiration

Comme la négation du consensus est assez fragile, beaucoup vont en douter et se demander pourquoi, quand même, les scientifiques sont-ils presque tous du même avis ? Il est en effet très dérangeant de constater que tous les gens experts en la matière, ceux qui passent une bonne partie de leur vie à plancher sur le problème, arrivent à la même conclusion.

L’idée d’une conspiration massive est donc logique. Concernant le CJU, j’ai déjà écrit sur le sujet dans « Science et Foi ». Côté climat, la conspiration est également l’un des thèmes majeurs des sceptiques, à l’instar de cet ouvrage qui accuse pêle-mêle les scientifiques « réchauffistes » de censurer ceux qui ne le sont pas, ou bien de défendre bec et ongle leurs intérêts financiers (voir la table des matières du livre ici).

Apres avoir semé le doute sur le consensus et l’honnêteté des experts, l’argumentaire CJU ou CS se porte sur le terrain scientifique. Ici aussi, nombre de travers sont communs aux deux communautés. Bien que la liste soit plus longue, je n’en passerai en revue que 4 :

  • L’oubli de tout ce qui marche bien,
  • le zoom sur un phénomène mal compris,
  • l’oubli des ordres de grandeur et finalement,
  • des arguments qui tournent en boucle.

 

L’oubli de tout ce qui marche bien

Vous rentrez chez vous. Bonjour papa, maman, chéri(e), grand-mère, etc. Vous allez dans la cuisine, ouvrez le frigo, et là, vous trouvez un steak d’autruche ! Impossible pensez-vous, personne ici n’a jamais vu une autruche. Aucune boucherie ne vend de l’autruche à 100 km à la ronde. Je me suis surement trompé de maison !

Que pensez-vous de cette conclusion ? « Je me suis trompé de maison ». Même si vous trouviez un steak d’ornithorynque, vous n’en viendriez pas immédiatement à conclure que vous n’êtes pas chez vous. Il existe un nombre incroyable d’indices qui font que vous savez parfaitement où vous êtes : l’adresse est la bonne, l’entrée et ma famille sont les mêmes que ce matin, la cuisine n’a pas changé de place, le frigo est le mien, j’en passe. Avant que vous admettiez que vous n’êtes pas chez vous, il va falloir vous convaincre d’une tonne de chose. Si je ne suis pas chez moi, mais chez une famille australienne dont l’ornithorynque domestique vient de mourir, comment se fait-il que c’est mon adresse, ma famille, mon frigo… ? Il doit bien y avoir une explication. Ça ne vous empêcherait même pas de dormir.

Cette petite illustration permet de comprendre pourquoi il en faudrait beaucoup pour que la communauté scientifique révise l’âge de l’univers. On observe littéralement des milliards d’étoiles plus lointaines que 6 000 années lumières. Des millions d’observations montrent que les lois de la physique n’ont pas varié depuis des centaines de millions d’années, vitesse de la lumière incluse. On a foré les glaces du Groenland et de l’Antarctique, et trouvé au moins 250 000 couches annuelles de glace[6], effectué des milliers de mesures de décroissance radioactive qui implique un âge de l’univers bien supérieur à 6 000 ans. Et non, les taux de décroissances n’ont pas changé depuis des millions d’années, au moins… La liste est longue. Très, très longue. On est chez nous. Alors même si l’on trouvait un steak d’ornithorynque dans le frigo (et on n’en a pas trouvé, contrairement aux dires des CJU), on ne commencerait certainement pas par jeter des millions d’observations par la fenêtre, en décrétant qu’on s’est trompé de maison.

Côte climat, même rengaine. Le niveau de la mer, le contenu en chaleur des océans, la température globale, montent. La couverture glaciaire Arctique, la banquise du Groenland, celle de l’Antarctique[7], les glaciers du monde entier, tout cela est en retrait. Impossible de nier qu’un changement climatique est en cours. On le voit, la star médiatique qu’est la courbe de la température globale est bien loin d’être le seul indicateur.

Concernant l’origine du dit changement, les indices sont aussi nombreux. Même si l’on n’aime pas l’informatique, un crayon et quelques calculs suffisent pour arriver à la conclusion que l’usage des combustibles fossiles est à l’origine du changement climatique[8]. Si maintenant on regarde ce que les climatologues font avec un ordinateur, on verra qu’ils reproduisent correctement le climat du XX siècle, y compris l’effet des éruptions volcaniques[9]. La précision est globale, mais aussi locale. En d’autres termes, on arrive très bien à reproduire la température ou la pluviométrie du passé au niveau des continents[10]. La comparaison des prédictions faites il y a 20 ans avec ce qui s’est passé depuis 20 ans tient aussi très bien la route, tant au niveau des températures globales[11] que du niveau de la mer[12]. De surcroît, les calculs des milliers de personnes qui, dans le monde entier, ont développé des modèles informatiques indépendamment les uns des autres, convergent remarquablement.

Bref, ici aussi, on est chez nous. Un faisceau d’innombrables preuves pointent l’activité humaine comme responsable du changement climatique. Alors quand on trouve quelque chose qu’on ne comprend pas bien, le premier réflexe n’est certainement pas de tout jeter par la fenêtre. Mais comme CJU et CS passent sous silence tout ce qui marche bien, il est logique que leur prochain travers soit de pointer du doigt les phénomènes mal compris.

A suivre…

 

Notes

[1] J’utilise ce terme à contrecœur. Je n’ai rien contre le scepticisme en soi. Mais les alternatives telles que « négationnistes » sont beaucoup trop connotées. Je préfère utiliser un mot qui parle à tout le monde plutôt que d’en inventer un qui semblera bizarre.

[2] Rappelons que la caractéristique première d’une revue « spécialisée » est que les articles y sont relus avant publication par un ou plusieurs experts capable(s) d’en déceler les erreurs. Voir cet article, sur ce même site.

[3] Cook & Jacobs, Scientists are from Mars, Laypeople are from Venus: An Evidence-Based Rationale for Communicating the Consensus on Climate, Reports of the National Center for Science Education 11/2014; 34(6).

[4] Cook et al., Quantifying the consensus on anthropogenic global warming in the scientific literature. Environ. Res. Lett. 8 (2013) 024024.

[5] Voir les sources sur la page Wikipedia du sujet en question.

[6] J. Jouzel, et al. Orbital and millennial Antarctic climate variability over the past 800,000 years. Science, 317:793, 2007.

  1. Loulergue, et al. Orbital and millennial-scale features of atmospheric CH4 over the past 800,000 years. Nature, 453:383, 2008.
  2. Lüthi, et al. High-resolution carbon dioxide concentration record 650,000-800,000 years before present. Nature, 453:379, 2008.
  3. Dansgaard, et al. Evidence for general instability of past climate from a 250-kyr ice-core record. Nature, 364:218, 1993.

Johnsen et al. Oxygen isotope and palaeotemperature records from six Greenland ice-core stations: Camp Century, Dye-3, GRIP, GISP2, Renland and NorthGRIP. Journal of Quaternary Science, 16:299, 2001.

[7] Paolo et al., Volume loss from Antarctic ice shelves is accelerating, Science Vol. 348 no. 6232 pp. 327-331 (2015).

[8] A. Bret, The Energy-Climate Continuum: Lessons from Basic Science and History, Ch 4.

[9] IPCC, Climate Change 2013: The Physical Science Basis, p. 959.

[10] IPCC, Climate Change 2013: The Physical Science Basis, p. 18 & Ch. 9.

[11] IPCC, Climate Change 2013: The Physical Science Basis, p. 131.

[12] IPCC, Climate Change 2013: The Physical Science Basis, p. 137.

 


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