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La Bible est-elle "exacte" en matière d'histoire?


L' »infaillibilité historique », une forteresse à défendre?

Il est clair qu’aujourd’hui, deux visions différentes des conséquences de l’inspiration biblique s’affrontent dans les milieux évangéliques. Une vision très largement majoritaire affirmant que la Bible raconte à 100% des événements tels qu’ils se sont déroulés de la Genèse à l’Apocalypse (lorsqu’il s’agit de récits « historiques » bien sûr). Une vision plus « critique », minoritaire mais gagnant du terrain,  remettant ce présupposé en question, tout en restant fidèle aux affirmations historiques de l’Eglise concernant par exemple la divinité de Jésus, sa naissance virginale, sa mort et sa résurrection.

L’origine de cette remise en question est en grande partie liée aux différentes impasses intellectuelles et aux conflits avec les découvertes de la science que cette vision de « l’inerrance historique et scientifique » produit inévitablement.

Cette remise en question affaiblit-elle la foi, ou bien la stimule-t-elle, la purifie-t-elle et la fortifie-t-elle ?

Je ne peux répondre que de ma propre expérience. Il est vrai qu’il faut avoir de bonnes raisons et du courage pour renoncer à des convictions acquises depuis longtemps. C’est toujours au départ une expérience douloureuse. Cela en vaut-il la peine ?

Les théologiens évangéliques que j’ai cités dans mes articles précédents sont partagés sur les conséquences d’un abandon de l’ »inerrance historique ».

Le plus nuancé est certainement Henri Blocher

« Parmi les défenseurs de l’inerrance, l’image catastrophique des dominos tombant inexorablement jusqu’au dernier, de la foi entièrement ruinée quand l’inerrance est remise en cause, s’impose à l’imagination de plusieurs. Mais d’autres inerrantistes font preuves de plus d’optimisme et de plus d’indulgence pour l’erreur sur ce point doctrinal ; ils ne sont pas prêts pour lui à la séparation. En fait, l’expérience montre que les individus (les institutions plus rarement) peuvent souvent rester fidèles aux autres articles de l’orthodoxie évangélique quand ils ont abandonné l’inerrance. Mais logiquement cette décision ne peut passer pour secondaire en importance : elle affecte de principium cognoscendi externum, le « juge des controverses » dans l’Eglise, le critère suprême de la pensée chrétienne. Il ne faudrait pas se payer de mots ou de « bons sentiments » : dès qu’on admet la possibilité d’erreurs dans l’Ecriture, on pose ipso facto un autre critère que l’Ecriture (critère indispensable pour reconnaître l’erreur, nécessairement présent dans la désignation de l’erreur : méthode historico-critique, raison scientifique, phénoménologie, etc). On touche par là à la discipline en matière doctrinale. La métaphore bien ajustée n’est pas pour nous celle des dominos, mais celle de la place forte près de la frontière du pays : son importance est stratégique ; en temps de paix, il est permis de ne pas s’en soucier, il n’est pas trop grave qu’elle se délabre ; mais vienne la contestation, la perte de la citadelle rend difficile de résister aux envahisseurs.

Dans notre situation, l’effet visible immédiat de l’adoption de l’infaillibilité-inerrance concernera le traitement critique de la Bible tel qu’on le pratique depuis le siècle des Lumières. » Inerrance et herméneutique

Donc pour HB, il n’y a pas de danger mortel dans le renoncement à l’inerrance historique, mais danger tout de même. La question de fond est celle du concordisme historique et scientifique dans les Ecritures. Comme le fait remarquer Denis Lamoureux, de façon inconsciente, nous utilisons nos connaissances scientifiques modernes en les projetant sur le texte pour l’interpréter.

A partir du moment où j’ai pris conscience du fait que mes connaissances scientifiques modernes modelaient ma façon de lire le texte, et que j’ai reconnu qu’il avait été écrit avec une ancienne conception du cosmos, j’ai « posé ipso facto un autre critère que l’Ecriture » pour l’interpréter. Je ne vois aucune raison valable de ne pas étendre ce principe à l’histoire dans la Bible.

Le prix à payer peut donc paraître élevé pour le chrétien qui renonce à ce principe de l’inerrance historique. J’y ai pourtant trouvé bien plus d’avantages que d’inconvénients.

Le premier avantage est de ne plus vivre dans cette schizophrénie entre ma foi dans la Parole de Dieu et les découvertes des historiens et des archéologues en ce qui concerne Genèse 1-11 par exemple (l’origine des langues ou des nations, l’étendue du déluge…). La révélation de Dieu dans ces œuvres par la science retrouve tout son intérêt dans une démarche indépendante des données du texte biblique.

Par voie de conséquence, l’ignorance a priori des conclusions produit une jubilation et une curiosité familières de ceux qui ont participé à une activité de recherche. C’est ce qu’exprime si bien J.L. Ska

« Le troisième outil que le lecteur aura soin de mettre dans son sac à dos avant le départ c’est une bonne dose de goût de la découverte, d’une certaine curiosité intellectuelle et spirituelle, du goût d’explorer des territoires inconnus et de traverser des régions complètement nouvelles. Certes, cela implique aussi la capacité de mesurer les dangers et de calculer les risques, tout en se disant que celui qui craint les risques ne pourra jamais savourer le sel d’une aventure intellectuelle qui en vaille la peine. « Celui qui veut conserver sa propre vie la perdra », dit l’évangile qui ajoute : « Celui qui la perd pour moi la retrouvera ». Celui qui n’est pas prêt à perdre ses apparentes garanties et ses assurances faciles ne pourra goûter au vrai banquet qu’offre la lecture attentive des Ecritures. »

Je ne résiste pas à vous faire partager la suite de ce texte

« Ce goût pour l’aventure comporte un autre élément : la gratuité. Celui qui veut découvrir ne doit pas chercher immédiatement à exploiter sa découverte. Si quelqu’un se demande à tout bout de champ : « A quoi cela sert-il ? » et s’intéresse uniquement à ce qui peut être immédiatement utile, pour sa propre vie spirituelle, pour son activité pastorale ou même son enseignement, il vaut mieux qu’il reste chez lui…

L’aventure est ouverte…à celui qui veut comprendre « gratuitement » parce que c’est une joie, un « véritable plaisir » de découvrir le sens d’un texte biblique, de pouvoir corriger des visions partielles et dépassées, de pouvoir approfondir le sens de sa propre foi et des idéaux d’une communauté chrétienne…L’amour, dit Bernard de Clervaux est à lui-même sa propre récompense. Nous dirons la même chose de l’effort de l’intelligence droite, loyale et honnête.

Enfin, il sera fort utile au voyageur de faire ample provision de confiance. Confiance en la Parole de Dieu, en Dieu lui-même et dans le « sens de la foi » qui est le patrimoine de la communauté des chrétiens et de l’Eglise de Dieu. « Cherchez et vous trouverez », dit encore l’évangile. Celui qui cherche la vérité ne pourra pas être déçu et, ajoute l’évangile de Jean, « la vérité vous libérera ». Celui qui s’aventure dans le monde de l’exégèse sait que certaines convictions assez communes peuvent être secouées. Il sait que des opinions qui semblaient intouchables ou inébranlables se révèlent subitement fragiles. Mais la vraie foi est une recherche permanente. Elle ne peut être confondue avec des certitudes immuables ou des formulations qui, de toute manière, ne peuvent jamais épuiser le contenu de l’expérience en général et de l’expérience de foi en particulier. Si notre Dieu est le Dieu de la vérité et le Dieu de la liberté, rien d’essentiel ne peut être perdu lors du voyage. Que chacun se rassure donc. Nous pouvons tout au plus perdre ce qui est devenu inutile ou qui l’était depuis longtemps. La foi ne peut que se fortifier par cet exercice de lecture rigoureuse et par cette recherche de la vérité solide. Notre foi est comme notre corps. Elle a besoin d’exercice pour se fortifier. Si elle manque d’exercice, la foi, comme le corps, s’affaiblit. Un des exercices qui consolide la foi est celui d’affronter avec franchise et sérénité les questions que lui adresse le monde scientifique et technique d’aujourd’hui. » Les énigmes du passé

Pour conclure et reprendre l’image d’Henri Blocher qui considère l’inerrance historique comme une « forteresse » à défendre, j’ai le profond sentiment que ma culture évangélique (qui comporte plein d’autres avantages) m’avait rempli d’une crainte concernant tout ce qui se trouvait à l’extérieur de cette « forteresse ». Depuis que j’ai entrepris d’explorer ses alentours, j’ai au contraire pris conscience d’un domaine, non pas exempt de dangers, mais par-dessus tout passionnant à découvrir!


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