Article 39 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


Devenir humain, deuxième partie : l’évolution du langage et des lignes sur un nuancier

NDT : Nous avons conservé le verset servant à illustrer l’évolution du langage en anglais, en mentionnant toutefois la traduction française.

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  • Anothir day Joon say Jhesu comynge to hym, and he seide, Lo! the lomb of God; lo! he that doith awei the synnes of the world. (Wycliffe Bible, 1395)

 

  • The nexte daye Iohn sawe Iesus commyge vnto him and sayde: beholde the lambe of God which taketh awaye the synne of the worlde. (Tyndale New Testament, 1525)

 

  • The next day Iohn seeth Iesus coming vnto him, and saith, Behold the Lambe of God, which taketh away the sinne of the world. (KJV, 1611)

 

  • The next day John seeth Jesus coming unto him, and saith, Behold the Lamb of God, which taketh away the sin of the world. (KJV, Cambridge Edition)

 

  • The next day John saw Jesus coming toward him and said, “Look, the Lamb of God, who takes away the sin of the world!” (NIV, 2011)

Jean 1.29 : Le lendemain, il vit Jésus s’approcher de lui et dit : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » (Bible, version Segond 21, 2007)

Dans les billets précédents de cette série, nous avons souligné les difficultés que pose la recherche d’un véritable “commencement” biologique d’une espèce, puisque déclarer un événement de « spéciation », c’est essayer de tracer une frontière sur une ligne de changement progressif. Les linguistes sont confrontés à une difficulté similaire : bien qu’il soit possible de diviser le développement de la langue anglaise moderne en plusieurs étapes comme « le vieil anglais », « le moyen anglais», et « l’anglais moderne », de telles conventions ne sont que commodes d’un point de vue académique. En réalité, le développement de l’anglais est un fil continu durant lequel chaque génération peut discuter avec ses parents et ses enfants, alors que des changements se glissent dans la langue et la transforment au cours du temps. C’est ce qu’illustrent les différentes versions du texte de Jean 1.29 ci-dessus : le saxon occidental (un vieux dialecte anglais que l’on utilisait vers la fin du Xe siècle) est à peu près incompréhensible aux lecteurs d’aujourd’hui, et ne peut être adéquatement représenté à l’aide d’un clavier moderne (d’où l’image). Quatre cents ans plus tard (Wycliffe) et le texte est plus lisible de façon significative, mais la compréhension reste difficile. Et ça continue : dans la version de Tyndale, les choses sont plus familières encore, sauf pour les équivalences du « I » et du « J » ou de « v » et « u », ainsi que l’ajout du « e » à certains mots ; cet ajout étant connu à ceux qui ont lu Shakespeare ou la Bible King James (BKJ) dans son édition originale de 1611. L’édition de Cambridge de la BKJ est assez connue auprès de la plupart des chrétiens, bien qu’on ne puisse pas vraiment dire qu’elle soit écrite en anglais « moderne » (même si elle est un bon exemple d’un texte d’anglais moderne naissant). Enfin, l’édition de 2011 de la New International Version (Nouvelle Version Internationale, NVI) se lit facilement, comme nous l’attendons d’une traduction moderne.

L’évolution d’une langue est en fait l’une des meilleures analogies de l’évolution biologique, en ce sens qu’elle nous force à penser le changement dans le contexte d’une population et sur une longue échelle de temps. Tout comme une langue a une population qui la parle, une espèce a une population de génomes. Chaque membre d’une communauté de langue peut avoir ses préférences grammaticales, orthographiques ou de prononciation, tout comme une population biologique a des variations génétiques. La variation d’une langue à l’intérieur d’une population peut aussi changer au cours du temps, alors que des différences commencent et « se propagent » en devenant de plus en plus communes, et que d’autres le deviennent moins et finalement se perdent. L’un des exemples que l’on peut voir dans le verset cité concerne les lettres « u » et « v » en anglais ; elles ont été interchangeables, c’est-à-dire des doubles. Ces doubles se sont pourtant ensuite distingués, en prenant des fonctions (ou sons) qui ne se chevauchaient pas. Le processus par lequel c’est arrivé a été progressif : la variation y était en 1611, mais à l’époque de la première édition de Cambridge (et suivantes) de la BKJ (à partir des années 1700), leurs rôles étaient stabilisés dans les fonctions que nous connaissons. En plus d’additions, une langue peut aussi perdre des variations (comme en génétique, comme nous l’avons vu). Par exemple, le vieil anglais avait une lettre en plus, thorn, qui a progressivement été remplacée par le th de le moyen anglais. (Vous pouvez voir ces thorns dans le texte de saxon occidental ci-dessus ; il ressemble à un « p » stylisé aux yeux des modernes).

L’analogie de l’évolution d’une langue permet aussi de comprendre le transfert d’une variation entre des langues (ou dans le cas de l’évolution biologique, entre espèces). L’anglais, cela est bien connu, « emprunte » de nombreux mots à d’autres langues distinctes, notamment au français. Ce vocabulaire emprunté qui a été introduit puis qui a pris racine dans la population parlant anglais est analogue à l’échange génétique entre des espèces proches, entre des populations d’organismes qui sont distinctes et cependant pas assez pour empêcher la reproduction (et ainsi l’échange génétique). Cette caractéristique de l’évolution de la langue rend aussi problématique la définition d’un « commencement » d’une langue, puisque certaines de ses variations se développent lentement au sein de la population, et que d’autres viennent d’une langue proche (et ainsi reflètent l’histoire de cette langue). Pour les espèces, les variations venant d’un échange génétique d’un croisement d’espèces produit un patron analogue, où la variation d’une espèce voit son histoire globale contenue dans une autre espèce.

Les langues et les espèces : des frontières sur un fil continu

Maintenant que nous avons dessiné l’analogie entre les langues et les espèces, considérez ce problème : A quel moment précis faut-il situer l’origine précise de la langue anglaise ? Vers l’an 990 avec la version de Jean 1.29 en saxon occidental ? Non, car même en l’an 990, les mots de ce verset avaient une histoire plus profonde qui s’enracinait dans des formes encore plus anciennes du vieil anglais. Cette question, en fait, n’a aucun sens : il n’y a pas de « premier homme » qui ait parlé « l’anglais », mais plutôt une population qui, de génération en génération, progressivement, en est arrivé à parler la langue que nous appelons « anglais moderne ». En chemin, nous pouvons suivre ces populations et observer les changements progressifs de leur vocabulaire, de leur grammaire, de leur orthographe, de leur prononciation ; changements plutôt radicaux lorsqu’on les considère sur de larges échelles de temps, mais qui se sont cependant accumulé, petit à petit, au cours du temps, sans aucune rupture dans la continuité pour chaque population. Chaque génération possède une langue pleinement fonctionnelle, et chaque génération entre 990 et aujourd’hui a parlé la « même langue » que la génération qui la précédait et qui la suivait. Malgré cette continuité, cependant, on aurait du mal à dire que le saxon occidental et l’anglais moderne sont la « même langue » : trop de changements se sont accumulés. Le problème est, bien entendu, de savoir où tracer une limite ; et c’est exactement le même problème qui se présente aux biologistes s’agissant de définir des espèces distinctes. Des groupes largement séparés sont faciles à distinguer lorsque la variation qui les connecte a disparu. Si nous connaissions le saxon occidental et l’anglais d’aujourd’hui, sans rien connaître entre deux, il serait facile de classer ces langues en les distinguant. Une fois que l’on en connaît l’histoire, cependant, une telle distinction se révèle être une ligne commode sur ce qui est en fait un fil continu.

Comme nous l’avons vu dans de précédents billets, à l’époque de Darwin, on considérait le fossé qui séparait les humains des grands singes en vie comme très large ; aussi large qu’entre le saxon occidental et l’anglais moderne. Au cours du temps, cependant, on a découvert d’autres espèces hominiennes – comme des textes préservés de différentes ères – qui suggèrent une population continue passant par des changements progressifs. Et comme nous le verrons dans le prochain billet de cette série, l’analogie des « textes » pour penser les anciennes espèces est encore plus appropriée depuis que nous découvert et séquencé l’ADN de restes d’espèces hominiennes encore plus anciennes. Comme un linguiste qui découvrirait des manuscrits perdus depuis longtemps, ces résultats nous donnent une image plus claire de nos origines, et nous indiquent que notre spéciation a été longue et complexe.

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