Article 43 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


 

Dans ce billet nous explorons le “monde à ARN” – une étape proposée de l’origine de la vie qui précède la biochimie de notre monde moderne reposant sur l’ADN et les protéines.

Le livre de Weizsäcker “Le Monde vu par la Physique » continue de beaucoup m’occuper. Il me ramène assez clairement à l’idée que c’est une erreur d’utiliser Dieu comme celui qui comble les trous de notre connaissance. Si en fait les frontières de la connaissance sont repoussées (ce qui semble inévitable), alors Dieu est repoussé avec elles, et est donc continuellement en situation de retrait. Nous devons trouver Dieu dans ce que nous connaissons, non dans ce que nous ignorons ; Dieu veut que nous prenions conscience de sa présence, non pas dans les problèmes qui ne sont pas résolus mais dans ceux qui le sont.

Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission (Lettres et notes de captivité)

 

Dans le dernier billet de cette série, nous avons introduit l’hypothèse du « monde à ARN » – l’idée selon laquelle la vie a d’abord reposé sur l’ARN avant qu’elle ne soit basée sur la biochimie de l’ADN. Comme nous l’avons noté, cette hypothèse a reçu un soutien important dans le début des années 2000, lorsqu’on a découvert que le ribosome – l’enzyme responsable de fabriquer les protéines à partir de l’information codée par l’ADN et l’ARN – était en fait un ribozyme : un enzyme construit à partir d’ARN.

Nous pouvons apprécier pleinement en quoi l’importance de cette découverte par un bref retour sur la biologie de la cellule. Vous vous rappelez que l’ADN est un polymère formé de monomères, et que cette information portée par l’ADN est transférée en protéines, qui par leur forme tri-dimensionnelle ont des priorités structurales ou enzymatiques.

Ainsi, l’ADN est la molécule héréditaire tandis que les protéines font le travail au quotidien dans la cellule. L’ARN messager, comme nous l’avons vu, joue le rôle d’intermédiaire entre l’ADN et la protéine. En tant que « copie active » du gène, l’ARN messager est utilisé comme patron pour diriger l’ordre des monomères (les acides aminés) de la protéine résultante. Ce que nous n’avons pas discuté encore, c’est le rôle qu’un autre type d’ARN joue dans le processus – l’ARN qui constitue le cœur enzymatique du ribosome, l’enzyme qui connecte les acides aminés ensemble dans l’ordre imposé par l’ARN messager.

Ces molécules d’ARN, appelées « ARNr » pour ARN ribosomique sont des chaînes de monomères similaires aux monomères d’ADN. Quoiqu’il en soit, ces molécules ont aussi une fonction enzymatique qui dépend de leur structure tri-dimensionnelle – leurs séquences sont telles qu’elles se plient pour former une forme fonctionnelle. De fait, elles sont similaires aux protéines, qui elles aussi se plient pour former une structure fonctionnelle. Malgré leur structure, ces ARN sont toujours des polymères qui peuvent être utilisés comme patrons pour se répliquer eux-mêmes, comme l’ADN. Comme il n’est pas possible de représenter la structure complète d’un ARNr ici (c’est une très grosse molécule), un ribozyme plus petit peut être utilisé pour illustrer ses propriétés : une chaine de monomères nucléotidiques qui se plie pour former un enzyme actif grâce à sa structure tri-dimensionnelle.

arn

Image credit: William G. Scott. [CC BY-SA 3.0].

Etant donné que l’ARN peut avoir à la fois des caractéristiques de type ADN et de type protéine, il n’est pas surprenant que les scientifiques aient proposé que l’ARN pouvait les avoir précédés. Dès le début de cette hypothèse, l’un des objectifs clés des chercheurs a été d’identifier un ARN ribozyme capable d’autoréplication. Une telle molécule aurait les ingrédients essentiels pour l’évolution : un génome pouvant muter, produisant ainsi des « descendances » génétiquement différentes, pouvant potentiellement être des cibles de la sélection.

 

Défis et difficultés

L’un des principaux problèmes avec l’hypothèse du monde à ARN, parmi beaucoup d’autres (après tout, c’est une « zone frontière »), est qu’un ARN ribozyme qui s’auto-réplique doit être assez complexe. A ce jour, les scientifiques n’ont pas réussi à identifier une séquence ARN capable d’être un ARN réplicateur généraliste, et les molécules d’ARN qui ont quelques capacités de réplication ont tendances à être plutôt longues (c’est-à-dire constituées de plusieurs modules). La probabilité qu’une telle molécule ait émergé spontanément d’un mélange chimique pré-biotique est très faible, même si l’environnement adéquat, contenant en abondance les composés chimiques nécessaires, est garanti (un problème en lui-même qui sera discuté plus bas).

Une hypothèse pour répondre à cette objection est l’idée selon laquelle le ribozyme ARN autoréplicant n’était pas une molécule unique, mais plutôt une collection de molécules – une sorte d’écosystème où un certain nombre de petites molécules d’ARN contribuaient à la réplication de l’ensemble. Un tel système a le plus de chance d’apparaître (puisque chaque molécule est moins complexe), ou de se développer à partir d’un système précurseur encore inconnu. Bien que semblant farfelue, cette idée a reçu récemment quelque support. Vaida et collaborateurs (2012) ont montré que des réseaux de petites molécules d’ARN capables de se maintenir peuvent émerger spontanément à partir d’ARN précurseurs, ces réseaux pouvant se complexifier au cours du temps. Sans pouvoir résoudre tous les problèmes soulevés par l’hypothèse du monde à ARN, ces résultats montrent que le premier enzyme ARN pouvant répliquer l’ARN pourrait être en fait une population de petites molécules d’ARN simples plutôt qu’une longue molécule complexe.

Défis et difficultés futurs

Malgré les avancées récentes, l’une des difficultés à résoudre dans l’hypothèse du monde à ARN demeure l’émergence des précurseurs requis via la chimie prébiotique. Les ribozymes ARN, bien que plus simples que la vie cellulaire, sont tout de même assez complexes, et formés de précurseurs eux-aussi relativement complexes. Même si les données actuelles suggèrent que la vie a pu passer par une étape ARN, les travaux récents n’ont pas encore démontré un chemin facile par lequel un tel monde à ARN aurait pu se former directement à partir de composés non vivants. Par conséquent, certains chercheurs ont commencé de chercher d’autres « mondes », plus simples qui auraient précédé le monde ARN et auraient pu servir de tremplin sur le chemin entre la chimie non-vivante et la vie basée sur l’ARN. Bien que ces travaux soient de nature assez spéculative (c’est après tout la frontière de la frontière), certains d’entre eux apportent un soutien à cette hypothèse, à savoir une chimie plus simple qui peut s’assembler de manière spontanée dans un mélange chimique prébiotique. Dans les années à venir, il sera intéressant de voir si ces hypothèses sont confortées. Après tout, pour un chercheur, les frontières de la connaissance sont des terrains excitants – et peu de domaines en évolution sont autant à la frontière que la question de l’abiogénèse.

Finalement, est-ce que la science va résoudre la question de l’abiogénèse ? Peut-être que non – bien que je réalise que nous ne sommes qu’à 400 ans de l’époque de Galilée, et que bien des problèmes scientifiques qui semblaient insolubles à l’époque sont résolus aujourd’hui. Et avec Bonhoeffer, je me réjouis de ces avancées scientifiques qui nous donnent une image plus grande de Dieu et de sa fidélité envers Sa création.

Dans le prochain billet de cette série, nous allons explorer une autre zone frontière de la biologie évolutive : le débat qui est en cours entre ceux qui voient l’évolution comme un processus essentiellement convergent et ceux qui voient l’évolution comme un processus contingent, c’est-à-dire essentiellement dû au hasard.

 


Notes

Références

  • Vaidya N, Manapat ML, Chen IA, Xulvi-Brunet R, Hayden EJ, Lehman N. (2012) Spontaneous network formation among cooperative RNA replicators Nature. Nov 1;491(7422):72-7. doi: 10.1038/nature11549. Epub 2012 Oct 17.

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